Gannibal, de Masaaki Ninomiya

« Les habitants de ce village sont cannibales »

Daigo Agawa est policier. Il est détaché dans le petit village de Kuge avec toute sa famille pour remplacer un ancien officier qui, rongé par le jeu, aurait fini par disparaitre. Bien accueilli, même si on ne se prive pas de rappeler à Daigo son statut d'étranger à la communauté - tout autant que sa femme lui rappelle sans cesse son ennui dans ce patelin - Daigo Agawa ressasse la dernière phrase laissée par son prédécesseur ; "Les habitants de ce village sont cannibales".
Franchement, c'est plutôt courant et totalement rassurant.

Comme si ça ne suffisait pas, la petite fille de Daigo ne parle pas, sans que l'on sache vraiment pourquoi au début de l'histoire mais, visiblement, elle a vécu un traumatisme. Et ce n'est clairement pas la découverte d'un doigt humain qui va la remettre d'aplomb. Choe, précisément, qui va lui arriver !
Quelques jours seulement après l'arrivée du policier, un drame se produit dans la minuscule communauté et Daigo fait alors la connaissance de la famille Gotô, une sorte de clan qui vit à l'écart des autres habitants et ne semble pas être très apprécié. On ne sait pas à qui faire confiance, mais quelque chose ne semble définitivement pas tourner rond dans le village de Kuge.

«L'Homme est apparu sur Terre il y a 200 000 ans. Pour nos ancêtres, le cannibalisme était une culture comme une autre. Religion, soin ésotérique, simple désir … On le pratiquait à travers le monde pour diverses raisons, y compris au Japon jusqu'à son interdiction officielle à l'ère Meiji (1868-1912). Cependant, cette culture serait encore présente à certains endroits du globe. Et peut-être même dans certains villages du Japon …"

L'ambiance du village, perdu au fin fond de la montagne (personne ne doit vous y entendre crier, c'est sûr !) a de quoi faire trembler, impression renforcée par les dessins qui sont réellement superbes, et par le climat glacial de la région. 
En se rapprochant des Gotô, Daigo va peu à peu être intégré à certaines de leurs traditions, ce qui semble faire sens avec la phrase qui le hante depuis des jours…
Tout bascule lors de l'arrivée de la fille du policier disparu, qui va demander de l'aide à Daigo afin de faire toute la lumière sur la disparition de son père. Je n'en dis pas plus, mais elle semble en savoir beaucoup sur le village et ses mystérieux habitants. D'un point de vue purement graphique, les couvertures de chaque tome font partie des plus belles que j'ai vues actuellement sur le marché. Toutes rendent hommage à cette ambiance horrifique si pesante, on pourrait croire qu'elles vont prendre vie pour vous sauter à la gorge.
Le personnage de Daigo est particulièrement intéressant, car nuancé. Il  n'est pas naïf et garde une méfiance exacerbée envers tous les habitants, ne prend pas de décisions hâtives et semble avoir un passé assez trouble. Bref, une épine dans le pied de certains villageois, car il serait un peu trop simple de faire du clan Gotô les grands méchants de l'histoire. Le mangaka est assez subtil pour créer des personnages complexes et crédibles, et surtout il ne tombe pas dans l'horreur et le gore sans raison. Le sujet est bien traité, ce n'est pas de la barbarie. Enfin, majoritairement.
Ce thème, peu évident à traiter sans tomber dans le déjà vu et l'excès d'hémoglobine, sert une histoire plus profonde sur l'autarcie, le rapport à la mort, les liens familiaux, les coutumes et comment nous les faisons - ou pas - côtoyer la modernité.

GANNIBAL
Masaaki Ninomiya
Traduction ; Vincent Marcantognini
éd. Meian, 2020, 13 tomes
Conception ; IDP Home Video
Correction ; James Thammaxoth
Assemblage et lettrage ; Mickael Ponsard
Supervision ; Alex Uzan

La photographie en tête de l'article est d'© Amalia Luciani pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Amalia Luciani.

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