Under Prison, d’Ikumi Miyao

Under prison est un manga coup de poing traitant du milieu carcéral japonais. Depuis l’affaire Carlos Ghosn, les projecteurs sont braqués vers le très controversé système judiciaire nippon : distribution d’anxiolytiques aux détenus, obligation de position assise face à un mur pendant des heures, quasi absence de présomption d’innocence, visites interdites et temps de détention préventive interminable dans l’attente du procès…

Le manga de quatre tomes que je vous présente aujourd’hui est imbibé de cette ambiance malsaine et controversée, Ikumi Miyao ayant clairement été influencé par la procédure des exécutions capitales, toujours actives au Japon. En effet, la mise à mort par pendaison existe encore dans le pays, et de la manière la plus inhumaine qui soit, à savoir que les condamnés ne sont informés de leur exécution que le matin même (contrairement aux États-Unis, où ils sont prévenus un an à l’avance) : par conséquent, ils passent chaque jour de leur peine à se demander s’ils ne vont pas mourir ce jour-là. Comme si cela ne suffisait pas, trois gardiens sont présents lors de la pendaison pour actionner l’un des trois boutons de mise à mort, de façon à diluer la culpabilité ; aucun des trois ne sait quel bouton a déclenché l’exécution. On comprend pourquoi le pays est l’un des seuls au monde à connaître des prisons en sous-occupation, avec un taux de criminalité des plus bas.
Bref, ce système vieillissant et innommable représente de la matière brute pour un manga.
Dans un futur proche – 20XX – lequel n’est guère différent du Japon actuel, le nombre de crimes ultra-violents a explosé. Pour contrer ce problème, la peine capitale devient quasi systématique depuis qu’un ancien condamné à mort, innocenté, a commis une attaque terroriste. Car l’opinion publique crie vengeance, et exige qu’on la tienne éloigné des individus qui gangrènent la société. Le gouvernement crée alors une installation sous-terraine appelée « La Racine », un pénitencier de haute-sécurité – tenu secret – réservé exclusivement à l’incarcération des condamnés à mort. Les prisonniers de Hirasaka sont donc regroupés dans cet enfer, sans voir la lumière du jour, dans l’attente de leur exécution..

Junya Momose vient d’y être incarcéré, et le jeune homme est bien le seul à y trouver une satisfaction car c’était sa volonté profonde. Dès son arrivée, il parvient à obtenir son placement dans une cellule particulière : celle de l’assassin de toute sa famille. Pour pouvoir la venger de ses propres mains, il est prêt à tous les sacrifices.
En effet Junya est le seul rescapé d’une tuerie qui a laissé en lui de profondes cicatrices, tant physiques que psychiques. Elle avait défrayé la chronique plusieurs années auparavant. Le voisin de la famille, Kushime, avait été retrouvé sur les lieux du crime et, même s’il prétend n’avoir aucun souvenir du massacre, il est condamné à mort et envoyé à Hirasaka. Junya change donc d’identité et fait pour être incarcéré à son tour afin de se venger en tuant Kushime.

Très vite, Junya va constater que les prisonniers ne sont pas tous des ordures et que les responsables de la prison sont peut-être les plus déshumanisés. Mais surtout, à force de côtoyer Kushime et ses souvenirs qu’il dessine sans cesse, le doute commence à l’envahir. Leur ancien voisin est-il réellement coupable ?
Under prison est pour moi un coup de cœur, qui me rappelle des œuvres portant sur le même thème, comme par exemple la série télévisée OZ, de par sa violence, le traitement des prisonniers et les abus de toutes sortes.

L’aspect psychologique est très présent dans ce premier tome. Junya découvre le sens de la nuance et voit ses certitudes basculer, une fois confronté à un monde injuste et cruel, inconnu de lui avant d’y être enfermé, et dont la société de la surface ne soupçonne pas l’existence. C’est une idée très présente dans le Japon actuel, qui porte un regard extrêmement négatif sur les prisonniers, ces derniers étant totalement mis à l’écart, même à leur sortie. Comme dans le manga, tout ce qui se passe à l’intérieur de la prison doit rester caché.
Toutes les convictions qu’avait Junya sur la justice avant de franchir les portes du pénitencier sont complètement remises en question, et il ne sait plus à quelles certitudes se raccrocher. Car si des personnes aussi inhumaines rendent la justice, comment être certain que le véritable assassin de sa famille a été condamné ? Et même si c’est le cas, Kushime mérite-t-il un tel traitement, maintenant que Junya le côtoie et qu’il perçoit son humanité, alors qu’il a tout fait pour se retrouver seul avec cet homme ? Je vous laisse imaginer le désarroi de notre héros dont la vengeance était la seule motivation, s’il s’avère que Kushime est innocent.

Ce premier tome se clôture sur un retournement de situation qui annonce une suite passionnante, car il semblerait que « La Racine » soit encore plus sombre et corrompue qu’on ne le pensait …

Comme le disait Nelson Mandela, « personne ne peut prétendre connaître vraiment une nation à moins d’avoir vu l’intérieur de ses prisons ». Le traitement infligé aux prisonniers est, à mon sens, le reflet de sa société. Il révèle ses failles et ses faiblesses. Mais aussi ce qu’elle décide de faire de sa justice ; une faucheuse vengeresse ou une main tendue qui permet une réinsertion saine et durable, comme semble souvent le démontrer, par exemple, les politiques carcérales scandinaves.

UNDER PRISON
Ikumi Miyao
Traduction : Frédéric Malet 
éd. Omaké, 2022, série en 4 tomes

La photographie en tête de l'article est d'Amalia Luciani pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Amalia Luciani.

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