« Est-ce que serait tout le temps comme ça, désormais ? Chacun dans sa réalité, incapable de se mettre d'accord pour savoir si la pandémie a vraiment eu lieu ou si c'était un canular, si le changement climatique existe ou pas, si la Terre est plate ou plutôt ronde. À quoi bon écrire un livre, dans un monde pareil ? »
Le roman s'ouvre sur quelques pages énigmatiques qui ne pourront être déchiffrées que vers la fin du livre. Puis commence un prologue qui installe les personnages : Phyl est une jeune femme qui est revenue s'installer chez ses parents après ses études de lettres. Elle travaille dans un restaurant sushi à tapis roulant automatique en guise de serveur. Elle s'ennuie, tant de la compagnie insipide de ses parents que de son travail répétitif. Arrivera alors chez eux un ami de jeunesse de sa mère. Cet homme est journaliste et blogueur. Il enquête depuis leurs années universitaires sur un mouvement politique extrémiste aux secrets bien cachés. Et il se sent menacé car ses recherches et découvertes dérangent les membres de ce parti, d'après lui dangereux et sans scrupules. Rashida, la fille adoptive de cet ami les rejoint. Contre toute attente une amitié complice se noue entre Phyl et Rashida, toutes deux pourtant à prendre avec des pincettes. Et elles seront amenées à mener de concert leur enquête sur la disparition du père de Rashida. Une inspectrice haut en couleur et fort perspicace se joint à l'histoire et c'est à ce moment-là que décède la reine Victoria...
Mais ce n'est pas tout car nous avons aussi d'autres personnages et d'autres enquêtes qui sont portées en parallèle, pour lever par exemple le mystère sur un écrivain décédé dont le livre a ressurgi. Mille couches se superposent dans ce délicieux millefeuille et ses quelques cinq cents pages. Histoires gigognes, poupées russes, un roman au sein d'un roman, lui-même au sein du roman principal ! Autant de dimensions pour nous perdre et nous repêcher au même titre que les vérités cachées qui souhaitent être vues sous la plume enjouée de Jonathan Coe.
Or ce livre, bien que souvent rangé dans la catégorie polar n'en est pas réellement un. C'est une photographie de l'Angleterre d'aujourd'hui, un documentaire sur l'évolution du parti conservateur qui au fil des décennies n'a cessé de s'extrémiser. Une étude socio-politique, Les preuves de mon innocence est aussi une sonnette d'alarme sur les dangers encourus par les tendances politiques britanniques ; et l'on ne pourra que généraliser le phénomène à l'Europe, à l'Amérique, à partout. Les roman de Jonathan Coe sont finement travaillés, riches dans leur contenu, et délicieux dans leur confection. Le lecteur appréciera aussi le regard tendre, de curiosité, porté sur la jeunesses, les goûts et habitudes des jeunes générations en littérature ou dans l'univers des séries. Oui, l'auteur aime regarder son monde, et réjouit son lecteur, comme lui curieux de lire le monde et l'âme humaine.
LES PREUVES DE MON INNOCENCE
(The Proof of My Innocence)
Jonathan Coe
Traduit de l'anglais par Marguerite Capelle
éd. Gallimard, 2025 (v.o. 2024)
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.