L’arbre de l’homme, de Patrick White

« Dans ce district, les noms des choses n'avaient guère d'importance. Chacun vivait. Personne ou presque ne s'interrogeait sur le but de la vie. On naissait. On vivait. La ribambelle d'enfants irlandais bruns à la peau sombre et au nez qui coulait, et les Écossais plus roux et plus galeux qui se déversaient du bush sur les étroits chemins rejoignant de haute lutte les pistes principales, ne tardaient pas à se changer en jeunes garçons et jeunes filles élancés, qui traînaient dans le coin, et s'évitaient, et se rencontraient, et leurs mains se joignaient magnétiquement, et leurs souffles se mélangeaient dans la chaleur des soirs. De nouveaux motifs de vie, faits d'échos et de cours en terre et de vergers, seraient tracés sur les flancs des collines et au fond des petites ravines. Mais pas encore. Avec le temps. Un temps lent, celui des chaudes journées d'été. »

Patrick White est un grand écrivain, de ceux que l'on aime lire et relire éternellement et éperdument. Prix Nobel de littérature 1973, il est le seul auteur australien à avoir reçu cette distinction à ce jour. Pour notre plus grand bonheur la merveilleuse maison d'édition Au Vent des Îles nous offre, pour la toute première fois depuis sa publication en langue originale, une traduction française de L'arbre de l'homme. Œuvre sublime, elle est traduite avec subtilité, adresse, grâce.

C'est une vie que nous allons découvrir dans ce roman. La vie d'un homme, d'un couple, d'une famille. La vie d'une région, d'un continent. La vie du souffle de la nature. Surtout, nous côtoyons la vie grande vécue par un homme ordinaire, un homme de peu de mots et celle de son épouse pétillante et espiègle. Chacun des autres personnages, les enfants, les voisins, les hommes de passage, a cette même étoffe des grandes vies tout à fait simples.

Le livre est lui-même grand : quelques cinq cent soixante-dix pages que le lecteur aura plaisir à savourer, en veillant à lire lentement afin de voguer longuement dans la plume ample de l'auteur. La moindre anecdote est ici un grand événement. Et les grandes catastrophes - inondation, incendie, orages et tempêtes - sont épiques. Oui, telle une épopée magistrale L'arbre de l'homme contient tout : l'amour, l'amitié, la cruauté, la poésie, l'envie, le désir, la solitude, dans le cœur des hommes et des femmes, sans oublier la vie végétale, animale, minérale.

Mais ce roman est encore remarquable par sa structure, sa construction maîtrisée. Car ici chaque chapitre est un roman en lui-même. Chacun des chapitres, et absolument tous, auraient pu, pourraient être publiés, lus et adorés séparément comme nouvelle pour les plus brefs et comme novella pour les plus longs. Nous sommes plongés dans le mystère d'une vie, celle du personnage mais plus généralement celle de tout être ; les âges de la vie deviennent ainsi des nectars pour l'âme du lecteur, porteurs des vérités tant absolues qu'indicibles.

Le lecteur va rire à haute voix en traversant un chapitre digne du cinéma muet à son meilleur, aura le cœur serré dans tel autre chapitre, sera ébahi ou éberlué dans tels autres.

Il est difficile, et bien peu raisonnable, de tenter de parler de ce roman car il est bien trop vaste pour être résumé. Il faut lire L'arbre de l'homme et déguster chaque instant passé en sa compagnie. On se dira alors que c'était une chance inouïe d'avoir croisé le chemin de ce monument, de cette histoire si simple, si extraordinaire. Un très grand bonheur de lecture et un indispensable volume de toute bibliothèque digne de ce nom.

L'ARBRE DE L'HOMME
(The Tree of Man)
Patrick White
Traduit de l'anglais (Australie) par David Fauquemberg

éd. Au Vent des Îles, 2025 (v.o. 1955)

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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