Les certitudes, de Marie Semelin

« Est-ce qu'il est devenu ce mec détestable ? Il s'entend penser et ça l'agace. Non, lui il est Noam, il a horreur du cynisme et il est sympa. Il a un vélo, il aime la musique, le rock des années quatre-vingt-dix et deux mille, Oasis, Gun's and Roses, Red Hot Chili Peppers. Il adore son boulot. Le vrai, pas celui dans le tank. Il aime ce qui pousse. La germination, ça c'est fascinant. Il se rappelle le délice des premiers cours de bio. " Une graine est vivante, une graine respire. L'embryon qu'elle contient a besoin d'oxygène pour se développer ". »

Le premier roman de la journaliste Marie Semelin paraît en cette rentrée littéraire 2025. Ancré dans l'actualité géopolitique, Les certitudes nous plonge dans une histoire émouvante et aborde avec délicatesse les drames humains, individuels, qui se jouent au Proche-Orient. La petite histoire s'insère dans la grande qui joyeusement la brise étape par étape. Bien menée, tendre et drôle, le récit relève le difficile défi de nous permettre de regarder ce que l'on n'a pas envie de voir, de laisser nos certitudes et nos jugements vaciller, et accueillir autre chose à l'instar des personnages du roman. De rendre surtout leur humanité à chacun des protagonistes d'un conflit qui les dépasse.

La narratrice, Anna, cohabite depuis longtemps avec Madame Simone. En échange de la location de sa chambre et des pièces communes elle tient compagnie à sa logeuse et lui rend de menus services, comme de faire parfois ses courses. Or une relation autrement plus forte s'est progressivement nouée entre elles. Une amitié, une complicité, une ascendance - descendance spirituelle : la mère que l'on aurait aimé avoir, la fille que l'on aurait aimer enfanter et élever... Elles sont devenues tout cela l'une pour l'autre.

Le roman s'ouvre sur le moment où Anna va franchir le pas d'emménager chez son compagnon, patron du bar-restaurant situé de l'autre côté de la rue et le décès quelques jours après de Madame Simone qui venait de faire promettre à Anna qu'elle serait enterrée à Jérusalem. Anna perd pied, ne souhaite pas la voir disparaître de son monde. Très vite il lui faudra faire le chemin pour comprendre, connaître enfin la trajectoire de vie secrète de cette femme, loin de tout ce qu'elle aurait pu imaginer. Ses pas la mèneront en Israël où elle rencontrera non seulement la famille de Madame Simone mais aussi un pays, une histoire, les douleurs et souffrances qui habitent cette terre.

Les personnages de ce roman sont comme on les aime : insaisissables, au caractère bien trempé. Des anti-héros qui ne sont ni dans la réussite ni dans la déchéance. Leur vie est tentative, perspective de se construire peut-être et de se maintenir surtout, malgré les travers du destin. Le soldat israélien, la famille locale de Madame Simone, les figures secrètes qui se dévoilent à la fin, tous sont merveilleusement dessinés, romanesques et illustration vivante de la tragédie humaine. Par la grâce du roman ils redeviennent des êtres humains, sortent des clichés, des cases, des étiquetages que l'on voudrait leur apposer par paresse et recherche de facilité. La littérature est là pour redonner nuances, zones de gris pluriels en lieu et place des schématiques tout noir et tout blanc.

La primo-romancière Marie Semelin fait en effet œuvre de littérature tout en offrant au lecteur une connaissance historique, géopolitique et sociale du monde qui se déroule sous nos yeux, aujourd'hui. Lecture délectable et haletante, Les certitudes porte une parole sincère et tendre, d'une grand humanité.

LES CERTITUDES
Marie Semelin
éd. JC Lattès, 2025

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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