Les Andalousies
Serge Airoldi est poète, écrivain, érudit, amateur de photographie. Il est surtout un passionné et un flâneur. Le poète a par exemple écrit Si maintenant j’oublie mon île. Vie et mort de Mike Brant, dans lequel il rend au célèbre chanteur son existence tragique, commencée dans le désastre de la Shoah ; l’écrivain a raconté dans L’épreuve l’épopée de Carlo Airoldi, marathonien exceptionnel qui ne put concourir pour cette compétition, lors des premiers Jeux olympiques modernes ; l’érudit a consacré aux couleurs l’un des plus beaux recueils qui soient, Rose Hanoï, et quand on lit les pages de ce livre, on comprend sa méticulosité à décrire la robe des chevaux dans Motifs andalous : « Peut-être ne suis-je pas allé assez aux Andalousies pour savoir s’il existe d’autres chevaux sinon blanc isabelle, ventre de biche, vieux ciment, limon usé. Blanc éteule sous la lune-lune chère à Lorca. Blanc savon comme mon cheval de Ronda. Et plus rarement noirs, comme dans les poèmes ».
Serge Airoldi écrit avec Olivier Deck, photographe qui l’accompagne dans divers ouvrages, et notamment ceux qui les conduisent à marcher, flâner ou voyager dans le sud-ouest, la région qu’habite Airoldi.
A qui s’étonnera de lire un pluriel à Andalousie, ce court ensemble de motifs apporte une explication. Mais d’abord motif : « Ce que, dans la réalité visible, un peintre, un dessinateur, choisit comme sujet, comme modèle, notamment un paysage » dit le Larousse. Airoldi va sur le motif dans la campagne, dans des villes comme Séville, Ronda, Grenade ou Almeria. Il regarde, écoute, il nomme. « Nommer c’est créer » disait Danilo Kis, écrivain yougoslave dont on réédite en Imaginaire un très beau roman. La formule convient ici à notre auteur qui, par exemple, énumère, par leur désignation espagnole les plats qu’il trouve au menu d’un restaurant sévillan. Et pour qui a eu la chance de voyager dans ces terres du sud, des souvenirs se réveillent, du côté des papilles.
Et puis l’Andalousie a un martyr, on ne peut plus laïc, à côté de ses Saints que l’on porte lors des grandes processions printanières. Ce martyr se nomme Federico Garcia-Lorca. Il traverse les pages du livre. Airoldi raconte le fossé anonyme dans lequel, depuis l’été 36 repose celui qui écrivait : « Je n’y peux rien, je suis comme le ver luisant caché dans l’herbe et qui attend l’horrible qui va l’écraser ».
Les grands interprètes du flamenco, pas forcément célèbres sur les rives grises de la Seine ou de la Loire parlent à l’écrivain. Retenons les mots de Pedro Bacán surnommé Pedro Peña Peña : « Je dirais que le flamenco est une confession personnelle… C’est la confession de la faiblesse de l’être humain. Si ce n’est pas la faiblesse, du moins la fragilité de l’être humain ». On sait quel ostracisme a frappé les gitans, continue de les frapper. Les persécutions n’ont pas manqué pour ce peuple qu’on pense venu de l’Inde et sous d’autres noms, Tsiganes ou Sinti, ils ont souffert dans les camps nazis. En Andalousie, terre aussi riche en conquérants et en habitants que la Sicile, cela se voit moins. Mais à Almeria, dans le quartier de La Chanca, ils ont vécu avec le poids des jours sur les épaules : « Le poids d’un soleil sans précédent, la mer mythologique toute proche, un lieu sans d’autre légende que la sueur humaine des siècles passés, du travail, de la mine, du cuivre, de la production de soie, l’extinction d’une réputation industrieuse, l’abattement des jours, la joie brutale de l’instant, les jeux des enfants capables avec un brin d’herbe d’inventer des architectonies complexes, parfois les excès des adultes, le désœuvrement - mais aussi le manque, la permanence du manque ».
C’est une photo de Michel Dieuzaide qui, en un instant capté, rend ce lieu. Ailleurs, c’est une photo de Cartier-Bresson ou bien de l’ami Olivier Deck. Serge Airoldi voyage de compagnie et quand il est seul, la mémoire des pages l’accompagne, qui ne le trouve jamais démuni.
Jacques Berque, avec qui il conclut, continuait d’appeler à des Andalousies toujours recommencées. Airoldi le suit, et par ce livre aussi court que dense, il invite chaque lecteur à faire de même, en empruntant tous les chemins de traverse pour mieux voir, ou pour voir, simplement.
MOTIFS ANDALOUS
Serge Airoldi
éd. Arléa 2025
Article de Norbert Czarny.
Norbert CZARNY a enseigné les Lettres en collège, il est critique littéraire et écrivain. Ses articles sont disponibles à La Quinzaine littéraire, En attendant Nadeau et L’École des Lettres. Son dernier livre, Mains, fils, ciseaux, éditions Arléa, est paru en 2023.