Les Sœurs, de Jonas Hassen Khemiri

« Anastasia regarda son portable. Aucun message de Mathias. Mais deux messages de ses sœurs. Ina lui demandait si elle avait eu des nouvelles de leur mère, elle écrivait qu'elle commençait à s'inquiéter, elle ne répondait pas au téléphone depuis plusieurs jours. Evelyn, elle, envoyait un message disant qu'Ina voulait apparemment les emmener dans un musée de l'eau avec Hectore (Anastasia ne savait pas pourquoi elle appelait Hector "Hectore"). »

Jonas Hassen Khemiri est un écrivain, dramaturge, essayiste et nouvelliste suédois aux origines tunisiennes. Il a su nous séduire avec ses précédents romans traduits en français, Tout ce dont je ne me souviens pas, ou La Clause paternelle, lauréat du Prix Médicis. Il nous revient en cette rentrée littéraire avec un grand roman familial savoureux, Les Sœurs. Le lecteur se fondra éperdument dans les 681 pages du livre et n'en perdra pas une miette jusque dans les dernières pages qui portent une révélation de taille.

Le roman trace plusieurs décennies de la vie de Ina, Evelyn et Anastasia, trois sœurs bien différentes les unes des autres, plus romanesques les unes que les autres, et toujours soudées dans les moments critiques. Mais un quatrième personnage donne le ton, lève les mystères et distille humour et sensibilité au cœur de cette épopée, un certain Jonas, alter-ego de l'auteur, qui croise régulièrement le chemin de cette sororité foutraque.

Les trois filles ont vécu enfant dans le voisinage de Jonas. Il a connu leur mère, drôle de personnage aux lubies incompréhensibles que le père de Jonas, tunisien comme elle, aurait connu et peut-être aimé autrefois au pays. Les frasques d'Ina, d'Evelyn et d'Anastasia ont toujours une saveur relevée et pimentée mais elles sont aussi tourmentées par un verdict maternel : elles seraient toutes sous la menace d'une malédiction impossible à lever. Chaque pas de leur vie dès lors doit se faire en connaissance de cause...
Le lecteur se réjouira d'accompagner ces destinées humaines, de se laisser cueillir par les surprises, de retrouver toujours les personnages ailleurs que là où on les aurait attendus. Et bien-sûr, de fil en aiguille un récit d'ensemble se forme. Tout est lié, et Jonas ne se trouve pas là par un hasard fortuit mais par la force de sa volonté et surtout par la puissance d'une prédestinée. Celle de traverser lui-même des heurs et des gouffres, celle de dénouer le fil et parvenir à libérer peut-être ses sœurs d'âme de la prétendue malédiction qui plane sur leur existence.

Qu'est-ce qu'une vie ? Qu'est-ce qu'une malédiction ? Nous répondons tous à nos actes passés même lorsque nous les avons profondément enfouis dans nos besaces invisibles. Mais ces actes passés ne relèvent-ils pas de notre humanité, faillible et charmante.
Lecture délicieuse, vivante et enjouée, Les Sœurs continue de construire l'édifice de l'œuvre littéraire de Jonas Hassen Khemiri, et pour notre plus grand bonheur la traduction française est formidable.

LES SOEURS
(Systrarna)
Jonas Hassen Khemiri
Traduit du suédois par Marianne Ségol-Samoy

éd. Actes Sud, 2025
Sortie en librairie le 4 septembre

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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