James, de Percival Everett

« Quand t'es esclave, tu dois faire tout ce que ton maître te dit de faire ?
- Tout ça qu'il dit, tout le temps. Il dit "saute", je dis "haut comment" ? Il dit "c'ache", je dois "loin comment" ?
- Mais comment une personne peut appartenir à une autre ?
- Ça, sû' que c'est une bonne question. »

Percival Everett est un écrivain et professeur d'université américain. On peut lire tous ses livres sans jamais être déçu du voyage. Il se réinvente à chaque nouvelle publication, s'essaie avec brio à tous les genres littéraires, use de toutes les langues et lexiques avec force talent. Son tout dernier roman, James, paraît en cette rentrée littéraire 2025 dans sa traduction française. À sa sortie en anglais il a été finaliste du Booker Prize, lauréat du Prix Pulitzer et du National Book Award. Travail littéraire d'excellence, James est aussi un bonheur de lecture.

Dès les premières pages le lecteur réalise qu'il est plongé dans l'univers de Hucklberry Finn (roman de Mark Twain). Nous sommes en effet dans une réécriture de ce classique mais l'histoire est revisitée ici depuis le point de vue de l'homme noir, Jim. Nous sommes au temps de l'esclavage, des plantations du sud, du petit parler nègre. Une face cachée de l'histoire nous est révélée : la réalité des hommes noirs (hommes et femmes), et ce, toujours avec humour, toujours avec délicatesse.

Le fil de l'histoire est simple : Jim va s'enfuir et se cacher pour éviter d'être vendu. Il sera prêt à user de tous les stratagèmes pour retrouver sa femme et sa fille, les rendre libres. Mais dans un premier temps il voguera au gré du Mississipi, sera accompagné de Huck, ce garçon blanc singulier qui s'est attaché à l'homme noir. Le lecteur ira d'aventure en aventure au côté de Jim qui lui-même se transforme au fil de l'aventure pour devenir James, homme libre.

Le roman est savoureux et se laisse lire et relire à souhait. Mais si l'histoire narrée est succulente, l'écriture, elle, est magistrale. Car les hommes noirs, les esclaves, maîtrisent deux langues : celle que les blancs attendent d'eux, un parler bancal reflétant le manque d'intelligence voire la bêtise qu'on leur prête, et une deuxième langue, secrète, dont ils usent entre eux. Une langue belle, érudite, évoluée. Les scènes de réunions où les adultes enseignent aux plus jeunes la langue crétine, le petit nègre, les font répéter, leur font manier des traductions d'une langue vers l'autre sont exquises, drôles et inattendues. Nous saluerons le travail de la traductrice Anne-Laure Tissut qui a relevé l'exploit de rendre ce texte et ses niveaux de langage avec fidélité et adresse en français.
Comme tous les romans de Percival Everett James porte plusieurs dimensions et le lecteur est nourri de bien des manières. L'imagination, l'émotion, la réflexion s'en trouvent ragaillardis cependant que le plaisir est à son comble et que l'on tourne les pages goulûment.

JAMES
Percival Everett
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Anne-Laure Tissut

éd. de l'Olivier, 2025 (v.o. 2024)
Finaliste Booker Prize 2024
Lauréat National Book Award 2024
Lauréat Prix Pulitzer 2025

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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