Tovaangar, de Céline Minard

« Elle remonta sur plusieurs brasses, les Ardéanes intriguées n'en perdaient pas une miette, puis elle s'arrêta soudain. Alba caqueta en reconnaissant la posture et la charge de l'affût. Mais au lieu de frapper, Ama immergea lentement ses deux mains dans l'eau. Une caresse. C'est dans cette caresse qu'elle sentit les flancs, les ouïes, les barbilles du Catfish qui se reposait derrière la pierre. »

Céline Minard est une écrivaine française qui s'attèle à la constante réinvention de l'écriture depuis deux décennies. Régulièrement elle nous livre des pépites, toujours en ayant plusieurs longueurs d'avance sur ce qui se fait par ailleurs. Avec Tovaangar, son dernier roman qui paraît en cette rentrée littéraire 2025, elle dépasse nos espérances les plus secrètes. Le roman est époustouflant et correspond très précisément à ce que requiert non seulement l'âme du lecteur aujourd'hui, mais peut-être aussi la conscience collective. Aucune chronique, si élogieuse fût-elle ne saurait rendre grâce à ce livre dans sa juste mesure. Il suffit de lire Tovaangar pour en convenir. Un travail d'écriture d'excellence s'allie ici à une imagination  hors du comme, et nous offre un bonheur de lecture inégalable.

L'histoire se déroule dans un avenir indéfini, un demain lointain et plausible très beau. C'est une utopie créative qui s'abreuve de tous les possibles. L'aventure se déroule dans une région nommée Hidden, renaissance autre de Los Angeles. Bien des créatures peuplent le roman. On les découvre et les côtoie progressivement. Ce sont pour partie des créatures hybrides et pour partie des créatures que l'on reconnaîtra loup, poisson, écureuil, drones ou humains. Mais aucun n'est à l'image du loup, poisson, drone ou humain d'aujourd'hui.

Le personnage principal, ou premier, auprès de qui s'embarque le lecteur dans les premières pages est Amaryllis Swanson. C'est une auboisière, créature hybride bipède de culture forestière. Elle a choisi sa voie : c'est une Expé. Curieuse et aventurière de nature elle se lance dans de grandes expéditions et va à  la découverture du monde, et de l'Autre. Elle est accompagnée de la dronette Mianeh. En chemin elle feront des rencontres et petit à petit une communauté se formera autour d'elles. Le lecteur ira de rebondissement en rebondissement, ne sera jamais au bout de ses surprises et s'étonnera sans cesse de la grande émotion que provoquent en lui les rencontres épicées, souvent drolatiques, parfois mystiques, entre les différents personnages, chacun étant de culture et de nature différentes.

La nature a repris ses droits dans ce monde de demain, se nourrit et se développe au meilleur du possible. Chaque créature, chaque communauté de créatures se surpasse dans l'art de sa relation au vivant. Une collaboration naturelle trouve sa place. Les êtres ont évolué, et l'on voit ici comme l'évolution n'a pas de limites si tant est que l'on use de ses sens pour entendre, sentir, voir, toucher et se laisser toucher par le monde environnant, depuis sa plus minuscule composante jusque sa plus démesurée et invincible : l'eau, la rivière, Paayme Paxaayte...
Inévitablement on sera amené à découvrir l'historique de la transition du monde tel que nous le connaissons aujourd'hui vers ce lendemain utopique. L'ironie du sort ne nous échappera pas.

Céline Minard crée une langue dans ce livre. La phrase, les mots, se font stupéfiants et si l'on est quelque peu perdu dans les trente premières pages, très vite on s'y sent bien, à notre aise. Un glossaire est inséré en toute fin du roman, si besoin. L'invention de la langue est elle-même surpassée par l'imaginaire et la technicité de l'auteure à penser mille modes de vivre, de communiquer, de partager, de prendre et d'offrir le meilleur à l'environnement qui cueille toute créature à la naissance. La réinvention brillante de l'interaction entre les créatures et avec les éléments, sans compter la force de la psyché et des sens naturels qui sont ici développés à l'infini laissent le lecteur ébahi.

Tovaangar est de ces livres dont on voudrait qu'ils ne se terminent jamais. Et les 672 pages du roman sont bien trop peu face à notre soif de voguer encore et toujours dans cet univers de bon sens, d'humour intense, de curiosité et de simplicité évidente ; de lire le sublime de se fier aux sens et au potentiel qui définit le vivant.
Roman magistral et grandiose, le dernier livre de Céline Minard relève d'un exploit que nous saluons bien bas.

TOVAANGAR
Céline Minard
éd. Rivages, 2025

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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