J’étais roi à Jérusalem, de Laura Ulonati

« Les murailles étaient encore lilas. Je frottais mes paupières ; je guettais cet instant sublime, fugace, où leur éclairage prenait au pourpre d'une vendange juste avant de s'allumer complètement. Quand les rayons du soleil réchauffaient leur horizon de créneaux et de merlons. Sur la pierre, l'aurore se faisait soudain rousse, riche pour couvrir - sans jamais renoncer à sa délicate transparence - le pelage des fauves qui ornaient cette entrée monumentale. »

Laura Ulonati est écrivaine, agrégée en histoire-géographie et enseignante. En cette rentrée littéraire 2025 paraît son quatrième roman, J'étais roi à Jérusalem, tout simplement magnifique.

On y lit la vit d'un musicien, Wasif Jawharriyeh, chrétien orthodoxe de Jérusalem exilé à Beyrouth. Cet homme a réellement existé et a laissé derrière lui une autobiographie toujours disponible en anglais. La voix de ce joueur d'oud est mélodique et le roman donne le sentiment d'être musique, force de transmission indicible. En cela il est poignant à chaque mot, à chaque page et chaque phrase de l'histoire.

Car oui, l'histoire que nous vivons ici, un flot par lequel on se laisse envahir, envoûter, transporter et fluctuer malgré nous, tel le destin qui ballotte les individus, petits humains sensibles et imparfaits. Nos sens nous guident, et nous maintiennent à la surface : les senteurs et les saveurs, les mets culinaires, l'ivresse trouvée dans l'arak ou dans l'amour font palpiter de concert notre palais et notre cœur. Sans oublier les citations de vers de chants, de poèmes ou d'extraits de textes de l'Ecclésiaste dont est issu le titre du roman.

Le roman sur la scène suivante : le narrateur est assis dans une gargote à Beyrouth alors que la radio annonce l'issue de la guerre des six jours. Il commente par une phrase ironique, bêtement drôle ou drôlement bête, en prenant l'oignon qu'il trempe dans son houmous pour métaphore. Il se fait insulter par un jeune homme, et au lieu de se défendre, il se lève et part, ivre et mélancolique. Il entreprend alors de nous conter son histoire, depuis sa naissance en 1897 au cœur de Jérusalem-est jusqu'en 1948 lorsqu'il quitte son pays et s'exile au Liban avec ses enfants.
Si le roman est composé avec la grâce d'un poème, il est malgré tout séquencé chronologiquement avec l'empreinte de chaque événement historique, chaque étape de déconstruction du monde qui était celui de Wasif : «  une façon d'être au monde, une habitude qui était nôtre, qui nous faisait vivre ensemble. Nous, pas les Palestiniens ou les Israéliens. Nous, chrétiens, juifs, musulmans, les gens de Terre sainte comme on disait alors ».
Nous vivons à ses côtés chaque rue de Jérusalem, les villages environnants, Jéricho. Nous vibrons dans les fêtes, les chants, les danses, les soirées arrosées. Et le narrateur, qui se reconnaît très peu parfait, « un mauvais fils, un mauvais mari, un mauvais père, un mauvais patriote », n'en est pas moins lucide à chaque pas, ni moins accablé au fil de l'histoire. Toujours humain, toujours d'abord et avant tout un sublime joueur d'oud et naturellement empli d'un mysticisme inné.

On apprend tant de choses dans ce livre, que l'on savait mais que l'on avait oublié. Le rôle que les Britanniques ont joué dans ce qui fera la meurtrissure et le malheur d'une région. Leur diplomatie politique étrange, fidèle aux recettes du colon, du conquistador. Leur savoir-faire pour découper en parts un gâteau qu'ils estiment le leur, de diviser, de régner et pour cela de faire régner le désordre. On comprend aussi les événements par l'intérieur, par le changement survenu dans la ville de Jérusalem, ses rues, ses quartiers.

Oui, ce roman est une musique sublime qui dit la tragédie et célèbre l'humain, livre avec subtilité les ingrédients qui composent le secret de l'humanité et que nous oublions jour après jour.

J'ÉTAIS ROI À JÉRUSALEM
Laura Ulonati
éd. Actes Sud, 2025

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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