Adieu Zanzibar, d’Abdulrazak Gurnah

« Mamaki Zaituni baisa les mains de Rehana et de Malika, sans cependant les laisser réellement en faire autant. C'était une astuce dont usaient les humbles, que de baiser la main de l'autre et de retirer la sienne avant que l'on n'ait eu le temps de lui retourner la politesse. Ainsi montrait-elle de l'humilité envers même le plus déshérité, et tout le monde de dire que cela contribuait à faire d'elle une sainte et que c'était une des raisons pour lesquelles Dieu lui avait donné le don de guérir, comme Il l'avait auparavant accordé à son père. »

Abdulrazak Gurnah, auteur né à Zanzibar en Tanzanie, a reçu le Prix Nobel de littérature en 2021. Nous savions bien qu'il nous fallait connaître la plume de cet écrivain et c'est avec grand bonheur que nous nous y sommes plongés avec la parution en poche d'Adieu Zanzibar. Dès la première page le lecteur est happé par cette écriture d'un autre temps, ou plus précisément, cette écriture hors du temps qui nous transporte dans un univers tant merveilleux que réaliste.

Dès les premières pages le lecteur est transporté dans un mode de vie et une manière de percevoir le monde différents. Dans une petite ville côtière d'Afrique de l'Est un homme, Hassanali, se met en chemin pour la mosquée dont il est le muezzin : il doit faire l'annonce de la première prière du matin, à l'aube. Sa vie simple, ses pensées essentielles nous habitent déjà lorsqu'il croise la route d'un homme étrange, qu'il prend d'abord pour un spectre. Le voilà affolé, craignant sa dernière heure venue. Mais alors l'homme s'écroule devant lui ; il va le secourir, l'emmener chez lui, prendre soin de lui. Il s'avérera que cet homme est britannique, un aventurier voyageur, un enseignant, un Anglais pas comme les autres, ayant finalement bien peu en commun avec le colon établi dans le pays. Le destin de cet homme va se trouver lié à celui de la famille de Hassanali que le lecteur suivra dans le temps et au travers de plusieurs générations.

Le roman se divise en trois parties, et chaque chapitre est porté par une narration différente. Progressivement le lecteur assemble les pièces du puzzle et retrace la vie de chacun des narrateurs, ses ascendants et descendants, ses relations avec les autres personnages. On lit ainsi plusieurs histoires, vécues en des temps et des lieux différents qui racontent en réalité une seule et même histoire.

La saveur du livre s'abreuve à une source intemporelle ; le récit se pose dans des vies de village embrassant un peuple aux mœurs traditionnelles où chacun a une place bien définie dans la communauté, et pourtant les destinées humaines rejoignent un universel et sont sujettes à des réalités historiques. La posture du colon britannique, à la lueur de ses actions et ses jugements dans ce roman n'est pas de celles que l'on admirerait. Quant aux décisions de vie des personnages, baladés par leurs émotions et enfermés dans les carcans de leur statut ou classe sociale, elles ne font qu'illustrer le mystère de la vie et parfois l'ironie du sort.

Délicatesse et intelligence brillent à chaque page sous la plume d'Abdulrazak Gurnah et infailliblement émerveillent le lecteur.


ADIEU ZANZIBAR
(Desertion)
Abdulrazak Gurnah
Traduit de l'anglais par Sylvette Gleize

éd. Denoël, 2022 (v.o. 2005)
Parution poche Folio, 2025

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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