Eclaircie, de Carys Davies

« Lançon, huîtrier, sterne.
Lieu noir, macareux, violette, algue argentée.
Ivar les pointait du doigt en égrenant les mots dans sa langue, et John Ferguson les notait en anglais. « Lieu noir » et « algue argentée » étaient, il l'aurait volontiers reconnu, de simples suppositions - cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas retrouvé aussi près de la mer -, mais il estimait qu'il avait de bonnes chances d'avoir vu juste. »

Carys Davies est née au pays de Galles, a travaillé une douzaine d'années aux États-Unis et séjourne actuellement à Edimbourg. Son œuvre littéraire a été très tôt remarquée par les lecteurs et critiques anglophones avant d'être traduit et paraître dans une dizaine de pays. Son troisième roman, Éclaircie, paraît dans sa traduction française en cette rentrée littéraire 2025. Nous l'avons lu et l'avons aimé très exactement comme le présente l'écrivain Hernan Diaz : un livre magistral, discrètement grandiose ; car oui, c'est bien la discrétion qui offre la grâce à ce livre et sous-tend sa parole grandiose d'amour et d'humanité.

L'histoire prend pour décor une île perdue au large de l'Écosse, dans les années 1840. L'île compte un seul et unique habitant, Ivar, paysan robuste et solitaire au cœur tendre. Arrive alors sur l'île le pasteur John Ferguson dont les desseins ne seront révélés à Ivar que vers la fin du roman. Notre pasteur aura eu un accident grave dès son arrivée. Lorsque Ivar le découvre, blessé et inanimé, il le ramène chez lui, le soigne, le nourrit et une amitié naissante se fera progressivement place entre les deux hommes.

Le paysage, les éléments de la nature, sont peut-être les personnages principaux du roman. Mais une autre force se fait vibrante et poignante dans ce livre : celle du langage. Ces deux hommes ne connaissent pas un mot de la langue de l'autre. au gré du quotidien partagé puis des promenades et expéditions au dehors ils apprennent à communiquer, s'imprègnent des mots de l'autre, et de la manière de voir et de vivre de l'autre. La langue norn (celle d'Ivar) - comme on l'apprendra dans la postface - a progressivement disparu à partir de la fin du XVème siècle. Mais au début du XXème siècle un homme lui a consacré un livre, livre qui est à l'origine de ce roman parce qu'il a croisé le chemin de l'auteure Carys Davies. Un glossaire de la langue norn est d'ailleurs insérée à la fin du livre.

Mais le roman traite de questions très actuelles malgré tout : celles de choix économiques qui poussent les êtres humains à sacrifier des vies, des territoires dont se nourrit le vivant qu'il soit végétal ou animal. Et bien entendu un troisième personnage d'une grande simplicité, dotée de force intelligence humaine aura son rôle à jouer dans l'histoire quand le récit atteindra sa tension maximale : l'épouse de John Ferguson. Tout ce temps elle aura marqué les étapes de l'aventure à distance et le lecteur espère la voir surgir au moment opportun pour faire front à l'absurdité d'une situation qui peut engloutir les candides protagonistes.

Éclaircie est un merveilleux roman, très joliment traduit en français, et encore une fois les éditions de La Table Ronde nous régalent aussi par l'objet livre. La couverture est belle, le toucher des feuilles agréable. L'ensemble offre la douce harmonie, l'immense plaisir que recherche tout lecteur.

ÉCLAIRCIE
(Clear)
Cary Davies
Traduit de l'anglais par David Fauguemberg

éd. La Table Ronde 2025 (v.o. 2024)

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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