Mon amie de plume, de Yiyun Li

« - Tu veux dire que le malheur pousse tout seul, comme les chardons et les séneçons ?
- Ou alors Dieu le fait pousser, dit Fabienne. Qui sait ?
- Mais le bonheur, il peut pousser tout seul ?
- À ton avis ?
- À mon avis, le bonheur devrait être comme les chardons et les séneçons . Le malheur, lui, devrait être comme les orchidées exotiques.»

Yiyun Li est une merveilleuse écrivaine sino-américaine. Ses romans et ses nouvelles peuvent être des trésors de mélancolie, ou, comme dans le cas de Mon amie de plume - parue en cette rentrée littéraire 2025 dans sa traduction française - drôles et dotées d'une tendresse enfantine. Immense plaisir de lecture, ce livre nous ouvre les mondes de l'imaginaire et de la création littéraire, de la complicité à toute épreuve et de la nécessaire trahison qui mène à l'émancipation.

Dans les premières pages du livre la narratrice, Agnès, apprend que son amie d'enfance, Fabienne, est décédée. Elle décide alors de se remémorer et narrer l'histoire du passé, l'aventure qui les avait si fortement liées l'une à l'autre.

Si aujourd'hui Agnès vit aux États-Unis, autrefois elle était une enfant de la ruralité, paysanne française résidant à Saint-Rémy. À treize ans Fabienne et elle étaient différentes des jeunes de leur âge. Fondamentalement libres, un peu chipies et munies d'une petite dose de cruauté. Surtout, elles inventaient et partageaient mille jeux à la minute, Fabienne étant la meneuse et Agnès la suiveuse. Un beau jour elles se lancent dans un nouveau jeu : écrire un roman à quatre mains, pour s'amuser. Cette aventure les dépassera, causera leur bonheur et leur malheur, étoffera et étouffera leur amitié exclusive.

Mon amie de plume est un roman drôle et haletant. Mais pas seulement. Car une épopée de l'invention du roman s'y trouve. Le mystère de l'âme d'un écrivain s'y révèle. Et tout ce temps le lecteur est transporté dans les rebondissements d'une aventure rocambolesque et romanesque. On voyage au côté d'Agnès qui devra aller à la rencontre des éditeurs, des médias, du public, voyager dans d'autres pays, jouer à être un personnage : l'incarnation de l'écrivain. Où cela la mène-t-il, pourquoi se prête-t-elle à ces mascarades alors qu'elle ne recherchait au départ rien de tout cela ? « Souvent j'imagine que vivre est un jeu de pierre-papier-ciseaux : le destin bat l'espoir, l'espoir bat l'ignorance, et l'ignorance bat le destin. » dira-t-elle au moment où elle raconte son histoire.

Les écrivains, tout comme les lecteurs, cherchent à percer des mystères, à saisir l'âme humaine dans sa beauté et son incongruité. Le roman de Yiyun Li est délectable et émouvant, relève ces défis avec douceur et dérision tout en perçant à jour les sempiternelles failles humaines. Et pour notre plus grand bonheur la traduction française est formidable.

MON AMIE DE PLUME
(The Book of Goose)
Yiyun Li
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Clément Baude

éd. Belfond, 2025 (v.o. 2022)

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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