« Je peux donc l'affirmer : depuis 1945, les livres ont été préservés dans leur intégrité matérielle. Ils n'ont pas servi à allumer des feux de cheminée. Ils n'ont pas été déchirés pour rouler du papier à cigarettes, ni pour isoler les murs, colmater les nids-de-poule sur les routes ou assécher un étang. Ils existent encore, disséminés sur des milliers de kilomètres entre la Sibérie, Moscou, Lodz, Griefswald et ailleurs. Comment est-ce possible ? Et l'autre question qui m'occupe : quand tout s'effondre, quand la faim, le froid et la peur dominent, qu'advient-il des livres ? »
Vanessa de Senarclens est professeure d'université et enseigne la littérature française à Berlin. Avec La bibliothèque retrouvée qui paraît en cette rentrée 2025 elle se lance pour la première fois dans l'aventure d'une publication d'œuvre littéraire. Le livre nous transporte dans des univers peu connus sous des atours d'enquête truculente et haletante.
Le beau-père de l'auteure est issue d'une famille de chatelains autrefois installée en Poméranie orientale, région frontalière de l'Allemagne qui depuis 1945 fait partie de la Pologne. La Poméranie était localisée sur l'ancien territoire allemand et renfermait en son sein des familles rurales et agricoles mais également l'ancienne élite prussienne. La famille Bismarck-Osten a dû abandonner ses terres et sa demeure à l'arrivée de l'armée rouge au sortir de la seconde guerre mondiale. Les accords de Yalta ayant tracé les nouvelles frontières, dans la plus grande précipitation bon nombre des habitants de cette contrée ont fui leur terre natale qui devenait polonaise. Mais dans le cas des Bismarck-Osten un autre drame s'est joué à ce moment-là : ils étaient collectionneurs de livres et manuscrits anciens, détenteurs d'une bibliothèque exceptionnelle constituée au fil des générations, à commencer par Friedrich Wilhelm von der Osten au milieu du XVIIIème siècle. À quelques exceptions près cette collection riche de 16000 livres, manuscrits, cartes, médailles, parchemins et portraits s'était volatilisée dans l'après-guerre. Toutefois le meuble qui contenait les fiches inventoriant la collection, et son contenu, avait été déplacée et conservé.
Après le décès de son beau-père Vanessa de Senarclens va progressivement s'intéresser à cette histoire ancienne et s'engager dans la folle aventure de retrouver la trace de ce trésor disparu.
Le livre nous plonge dans l'étrange et l'inattendu de cette quête monumentale, nous conte l'histoire de cette bibliothèque depuis sa fondation. Naturellement le récit renferme aussi mille anecdotes qui nous renseignent tant sur l'histoire récente et la fin de la seconde guerre mondiale que sur un passé lointain, une époque révolue, un mode de vivre et le visage de cette région, la Poméranie orientale. Mais ce n'est pas tout, nous vivons les petites vies humaines, de cette famille, des habitants de cette région. Sans compter les récits et discussions qui redonnent vie et voix aux éléments constitutifs de la bibliothèque.
L'auteure mènera à bien le projet. Retrouvera le chemin suivi par la plupart des pièces, toutes cataloguées désormais sur un site internet.
Ce livre est passionnant, remarquable en sa capacité de concentrer en quelques deux cent cinquante pages et de manière limpide tant de connaissance, tant d'anecdotes savoureuses. C'est un récit qui se dévore avec délectation tout comme si l'on était plongé dans un roman. La bibliothèque retrouvée nous renseigne sur l'aventure humaine, les destins bousculés par la grande histoire et l'amour que l'on peut avoir pour les livres. L'importance qu'attachent ou non les hommes politiques et les institutions à ces trésors dérisoires nous feront sourire.
LA BIBLIOTHÈQUE RETROUVÉE
Vanessa de Senarclens
éd. ZOE, 2025
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.