« (...) Ce n'est pas le poète qui crée l'œuvre, son existence qui l'explique, mais bien le contraire. Car, davantage, l'œuvre crée le poète et ainsi elle explique son existence. L'effet devient cause de sa propre cause. Dans le miroir qui le réfléchit, le reflet dit la vérité du visage. »
Dès l'ouverture du livre l'auteur s'adresse à nous, s'expose au regard du lecteur. Va-t-il nous parler de lui-même, s'essayer à produire une biographie du dramaturge Shakespeare ? Les question sont posées, les éléments de réponse surgiront au fil des pages. Néanmoins, une clé essentielle est livrée d'emblée, par un extrait des écrits de Jorge Luis Borges : « Shakespeare ressemblait à tous les hommes, sauf en ceci, qu'il ressemblait à tous les hommes ». Après les trois cent quarante pages du livre cette phrase énigmatique nous paraîtra d'une limpidité délicieuse.
En dehors d'un épilogue et d'un prologue le livre se structure en cinq parties qui suivent peut-être un parcours chronologique de Shakespeare, de son temps et des découvertes, ou remises en cause courantes, sur son chemin de vie, mais aussi le débat sur l'appartenance ou non des nombreuses pièces qui lui sont reconnues officieusement ou secrètement. La beauté de la construction des chapitres et de leur contenu étant en ce qu'ils se posent au cœur de l'œuvre. Quelques vers d'une des pièces shakespeariennes sont mis en exergue puis pénétrés au cœur du chapitre. Que celui seul qui se sera évertué patiemment et longuement à naviguer au-dedans du texte et de ce théâtre s'amuse à tenter de connaître le dramaturge. Philippe Forest naturellement peut s'y atteler ; il nous transporte et nous enchante ce faisant.
Mais il est une autre dimension essentielle à ce livre. Au travers de Shakespeare, du théâtre de Shakespeare, on cherche à percer le mystère du théâtre, peut-être le mystère même de la vie, et s'interroger ainsi sur l'Art. Comment s'attaquer à ces grandes questions si ce n'est en se promenant dans la réflexion que d'autres ont menées. Philippe Forest nous amène ainsi chez Joyce et son Ulysse, chez Oscar Wilde, Proust, Keats et d'autres. Le plaisir de lecture s'en trouve redoublé, et tel un thriller où progressivement l'énigme cherche à être résolu, nous sommes tenus en haleine.
Ce livre est une douceur pour l'âme, une envolée pour l'esprit. Posé dans une écriture simple, enjouée, rêveuse et conteuse, Shakespeare - Quelqu'un, tout le monde et puis personne s'offre en trésor de nos bibliothèques personnelles.
SHAKESPEARE
Quelqu'un, tout le monde et puis personne
Philippe Forest
éd. Flammarion, 2025
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.