« Elle chantait bien, ma Damilya. Mais seulement quand l'envie lui en prenait. Un soir autour du feu par exemple, alors que la neige tombait dru sur la yourte et que, non loin du campement, un loup hurlait sa solitude affamée... Je l'appelais Bibigul, ma femme, « rossignol ». Elle était persuadée que je me moquais d'elle, mais, moi, je le pensais vraiment. »
Walid est un étudiant algérien qui travaille à sa thèse en 1978 à Leningrad dans le cadre d'un programme d'échange instauré entre l'Algérie et l'URSS. Il va rencontrer Irina, jeune femme sulfureuse et soprano aux rêves de grandeur, par le plus fortuit des hasards. Il tombe éperdument amoureux d'elle mais dès la première page du roman nous savons qu'il va devoir repartir dans son pays et qu'Irina fera le choix de rester chez elle pour se consacrer à sa raison de vivre : le chant, le désir de devenir une soprano à la grande renommée. Dès le début nous savons aussi qu'en 2022 Walid, alors sexagénaire, veut partir en Russie sur les traces de son amour de jeunesse, Irina. Au fil du roman nous découvrirons ce que l'un et l'autre ont vécu ces quarante années durant et espérerons tout du longs qu'ils finiront par se retrouver.
Mais le roman se tisse aussi, et peut-être surtout, de l'histoire d'un troisième personnage : Vladimir, le grand-père d'Irina. La structure narrative se compose dès lors de trois temps différents qui se relaient tout du long : dans les années 30, en 1978 et en 2022. Pour comprendre le destin de la petite-fille, Irina, il est nécessaire de connaître la vérité sur l'homme qu'a été Vladimir, ce qu'il a vécu et ce qu'il a fait autrefois à l'insu de tous en agissant pour le compte des services secrets staliniens au Kazakhstan.
Irina, un opéra russe nous éclaire sur la Russie d'hier et d'aujourd'hui, notamment les exactions du régime stalinien à l'origine de vingt-cinq millions de morts. Mais tout comme dans son précédent roman, l'auteur instille de la magie dans cette œuvre hautement romanesque. Ici aussi une pointe de réalisme magique, une pincée de l'incroyable des contes et épopées anciennes parsèment l'histoire d'amour. Les réalités historiques dérangeantes, la lucidité sur les devenirs d'un système dont nous connaissons l'actualité s'offrent à nous avec délicatesse, profondeur et douceur. Anouar Benmalek est en effet un merveilleux romancier qu'on ne se lasse pas de lire, encore et toujours.
IRINA, UN OPÉRA RUSSE
Anouar Benmalek
éd. Emmanuel Collas, 2025
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.