Les sept morts d’Evelyn Hardcastle, de Stuart Turton

Un jour, une vie !

C'est difficile de classer ce roman dans une catégorie. Les événements qui s'y déroulent relèvent du fantastique, le rythme et les rebondissements en font un thriller, la construction de l'histoire se rapproche de celle d'un polar... Mais le texte nous éclaire sur tant de choses indicibles que l'on pourrait tout aussi bien parler de roman initiatique ! Il a remporté le prestigieux et populaire prix littéraire britannique Costa Award qui ne retient pourtant jamais de romans policiers. Alors, voilà, si tous les livres que vous avez essayé de lire récemment vous tombent des mains, un seul remède : plongez dans Les sept morts d'Evelyn Hardastle !

Vous rappelez-vous le manoir de Manderley ? Le décor du livre de Daphné du Maurier - Rebecca - pourrait accueillir le roman de Stuart Turton. Un château, des invités de marque, un mariage qui se prépare, et un historique, ou un quelque chose du passé, qui semble hanter le lieu...
Dès les premières pages nous sommes parachutés dans l'esprit d'un homme qui se réveille au milieu de la forêt. Sa mémoire lui échappe, et un meurtre semble se commettre sous ses yeux. Puis, par un étrange hasard, il va franchir le seuil de cette grande et belle demeure qui se nomme Blackheath. Il vivra une journée hors du commun, parfaitement incompréhensible pour lui-même car, au fur et à mesure qu'il retrouve sa mémoire, il réalise qu'il est dans la peau d'un autre, un homme qui n'est pas lui ! Cette journée aura une fin, bien-sûr. Le lendemain notre homme se réveillera. Pour se retrouver dans la peau de quelqu'un d'autre, pour revivre la même journée ! Il sait qu'il a une énigme à résoudre, et qu'il lui faut prévenir la mort d'Evelyn Hardcastle, qui chaque soir est vouée à être assassinée précisément à la même heure. Il a sept jours pour y parvenir, dans la peau de sept hommes différents, et avec l'aide, peut-être, d'une jeune femme qui se nomme Anna.

En format poche le livre compte un peu moins de six cent pages. Mais on le lit très vite. Néanmoins, réflexions, interrogations et une certaine forme de méditation s'engagent en nous pendant que nous lisons le roman. Et cela ralentit notre lecture. Un envoûtement s'empare de nous. Le secret de la vie, ou des vies successives - certains diraient le karma - se trouve dans cette histoire. Et l'on aimerait tant le percer à jour.
Voyez-vous, l'esprit de notre personnage principal est incarné chaque jour dans le corps d'un être humain différent, qui participe aux événements. Et chaque jour il côtoie, et peut communiquer avec ses autres moi des jours précédents et des jours à venir. Il peut leur transmettre de l'information ou faire en sorte qu'une information lui soit transmise a posteriori... Et en tant que lecteur on est constamment ébahi par le talent de l'auteur et la construction complexe qu'il parvient à déployer savamment. J'avoue que je me suis demandé comment l'écrivain allait s'en sortir pour offrir une fin digne du reste au roman. Eh bien, il y parvient parfaitement. Le lecteur ne pourra résoudre l'énigme qu'à la toute fin du récit. De surcroît, une leçon d'humanité, d'une simplicité exemplaire, le surprendra et l'apaisera dans les derniers chapitres.

La diversité des personnages que notre protagoniste sera amené à incarner lui permet de porter autant de regards différents sur l'intrigue, et les événements quotidiens. Les atouts physiques et psychologiques de chaque incarnation ont un impact dans l'action de notre homme, et dans ses interprétations progressives. Par ce malin subterfuge, il est offert au lecteur de se glisser dans autant de manières de voir et de raisonner. Et cela a le don de nous faire réfléchir sur nous-mêmes. N'avons-nous pas été nous-mêmes des personnages différents au fil de notre vie ? Comment avons-nous réagi, qu'avons-nous ressenti en vivant une épisode identique à plusieurs occurrences dans notre vie ? Stuart Turton semble nous dire que l'évolution de l'homme dépend, et réside, en cela. Nous nous recréons chaque jour ; peut-être.

À la première page du livre l'éditeur nous dit quelques mots de l'auteur, Stuart Turton : journaliste free-lance, il a une maîtrise d'anglais et de philosophie. Touche-à-tout, qui ne prévoit rien à l'avance, il a notamment enseigné l'anglais à Shanghai, rédigé des chroniques de voyage à Dubaï et travaillé pour un magazine de technologie à Londres.
Me faut-il faire un commentaire ?! Il n'est nullement étonnant que son premier roman ait remporté le succès que l'on constate. Ayant vécu lui-même plusieurs vies en une seule, il nous restitue l'invraisemblable de la vie et de toutes les tournures qu'elle peut prendre. Le roman n'en est pas moins haletant et succulent.

LES SEPT MORTS D'EVELYN HARDCASTLE
(The Seven Deaths of Evelyn Hardcastle)
Stuart Turton
Traduit de l'anglais par Fabrice Pointeau
édition poche 10/18 - juin 2020

Sonatine 2019 (v.o. 2018)
Prix Costa Award 2019

Les illustration présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Clayton Sanders,
- Kathleen Delilah Evans.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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