« Se raconter des histoires et avoir envie d'y croire, voilà l'essence de l'humanité »
Un récit de voyage est toujours bien plus que le récit d'un voyage. Mais où sont les héritiers des Nicolas Bouvier et des Rysazrd Kapuscinski qui savaient nous transmettre un monde, un temps, ancrés, lumineux, mûrement digérés ?
Je découvre avec Deux petites maîtresses zen l'écrivain et sublime voyageur Blaise Hofmann. Je suis ébahie, transportée par cette merveille de poésie, de douceur et de lucidité. Photographie instantanée de notre univers à la veille de l'arrivée de la pandémie internationale, ce texte nous offre un regard juste sur les confins du monde et sur notre présent. Or il nous emmène loin, en Asie, dans des lieux plus magiques les uns que les autres.
Je vous recommande chaleureusement ce livre.
Le mot « confiner » signifie « forcer à rester un espace limité », mais aussi « aller aux confins de, toucher aux limites ».
En septembre 2019 Blaise Hofmann part en voyage, avec sa compagne et leurs deux enfants - âgés de deux ans et quatre ans. Ils ont préparé cette envolée qui est prévue pour une durée indéterminée, et longue. Ils vivront le Japon, le Cambodge, le Laos, la Birmanie, la Thaïlande, le Sri Lanka, l'Inde, sept mois durant. Les mesures internationales liées à la Covid-19 les forceront à revenir chez eux, en Suisse, en mars 2020.
Cette aventure est loin d'être la première à laquelle se confronte l'auteur, qui a sillonné le monde et exploré bien des recoins méconnus et encore aujourd'hui mystérieux pour le tout un chacun. Mais c'est la première fois qu'il voyage en famille, avec son amoureuse, telle qu'il aime à la nommer dans le récit, et ses filles en bas âge. Lui qui a passé la barre de la quarantaine, lui qui est éparpillé par le rythme effervescent et virtuel qui fait tourner le monde, va réapprendre à regarder, sentir, humer et mesurer le temps par la grâce de ces voyageuses hors pair, qui du haut de leurs deux ans ou quatre ans sont déjà maîtresses de l'art de vivre, du zen, de l'Être présent à chaque instant et en tout lieu.
Nous entrons, aux côtés de Blaise Hofmann et sa famille, dans l'insolite des pays et région parcourus. Et si nous avons pratiqué certains de ces pays dans le passé, on aura le sentiment d'y déambuler de nouveau. Le charme supplémentaire du récit étant les rencontres du narrateur avec ces autres voyageurs internationaux qu'il côtoie ici et là. Certains sont des frères d'âme, d'autres un peu moins ...
La structure du récit n'est pas tout à fait chronologique. Quelques premiers chapitres nous imprègnent d'atmosphères, nous transmettent un souffle, que plus tard nous retrouverons et peut-être, décoderons mieux. Puis démarre le récit qui accepte l'intrusion du temps calendaire, qui s'avèrera historique. Et le texte sera cadencé par de réguliers rappels, factuels, concrets, de nos temps et de ses travers. Questions environnementales, politiques, philosophiques .. les dissemblances et ressemblances des différentes régions, pays, continents qui composent notre actualité. Et une urgence s'insère alors dans ce récit de voyage libre et initiatique.
J'ai tant aimé lire ce livre, à chaque minute, chaque page de ma lecture. Et j'ai tant aimé ce livre, cette œuvre, pour sa grandeur, pour sa spiritualité profonde, pour son pragmatisme sage. Deux petites maîtresses zen contient une vérité profonde. Elle nous revient par vagues, celles-là même qui heurtent ou bercent l'auteur narrateur. L'universalité (ou l'homogénéité) de notre monde qui se montre à peu près partout, quel que soit la ville et le pays où l'on se trouve est frappante, parfois effrayante. Pour un homme qui a voyagé de tout temps, l'effet produit devrait être proche d'une électrocution. Mais non. Car cette famille est artiste en voyage : voyage de la vie, voyage vers l'instant, voyage où le protagoniste ne sait où il va. Mais cette famille n'est pas aveuglée par les brumes de l'illusion permanente. Le lecteur quant à lui, sera entraîné dans cette même boucle d'enchantement et d'effarement. On constate la beauté. On relève l'incohérence. Et l'on chemine. Sans se voiler la face on est porté par la magie de cette plume, de ce qu'elle nous dit, quand elle nous alarme, quand elle nous pose dans l'absolue pureté qui règne dans les réactions d'une petite fille, ou de sa sœur.
Il est passionnant aussi de relire les quelques mois de démarrage de la crise sanitaire mondiale, de se rappeler que nous aussi nous avons parcouru très précisément le même chemin. Mais ici, le narrateur expose un quotidien subitement transformé, dans d'autres lieux géographiques. Informations factuelles, réactions des humains de là-bas, vis-à-vis du chinois, vis-à-vis de l'européen. Instructif et narré sans aucune surcouche émotive affectée.
Alors bien-sur, je ne vous ai rien dit du récit. Car c'est une promenade, dans la vie, dans l'ailleurs, mais aussi dans la littérature. Et les livres qui trouvent leur place dans Deux petites maîtresses zen sont à l'image du reste : pétillants, profonds. Au moment même où j'allais attraper un crayon pour constituer ma liste de ces titres exquis évoqués, et des écrivains cités, ma main a feuilleté les dernières pages du livre. Et j'ai reçu un beau cadeau. L'auteur et l'éditeur nous offrent une liste de Lectures au hasard de la route. L'écrivain a devancé mon désir car il sait que le lecteur est un voyageur ! Lisez ce livre, et vous verrez que, comme moi, vous vous entendrez bien avec Blaise Hofmann.
DEUX PETITES MAÎTRESSES ZEN
Blaise Hofmann
éd. ZOE, 2021
(Blaise Hofmann est l'auteur d'Estive - Prix Nicolas Bouvier 2008)
Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de Rea Lynn de Guzman.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.