Tadao Ando le défi, Centre Pompidou – Paris

« Transmettre des modes de pensée, pour l'éternité »

Cette chronique a été écrite en 2018, au moment où j'ai visité l'exposition Tadao Ando au Centre Pompidou à Paris. Aujourd'hui, en avril 2020, je rajoute un support audio. Ainsi vous pourrez écouter mes propos. Ensuite vous pourrez faire défiler le texte et savourer les images qui présentent les projets de l'architecte dont il est question.
Pour moi, c'est une philosophie de vie qui est relatée dans le travail de cet homme, qui en parle d'ailleurs merveilleusement...

Pour Tadao Ando l'art plastique et l'architecture sont assez proches. Le mouvement artistique japonais Gutai, dit-il, a transmis aux architectes l'exigence d'être libre. Les architectes à leur tour doivent travailler, trouve-t-il, avec une volonté d'éternité parce que « Il faut toujours être conscient que nous vivons ensemble sur cette terre. » Et c'est bien cela qui a été présenté au Centre Pompidou plusieurs mois durant en fin d'année 2018. Rappelons qu'en 1995 cet architecte autodidacte a été lauréat du Prix Priktzer, équivalent du Nobel dans le métier. Tadao Ando, monument vivant de l'architecture, a conçu lui-même la scénographie de cette exposition. Il a mis en œuvre, dans une surface de taille modeste, la chose même qu'il privilégie dans les projets qu'il réalise : la possibilité de trouver sa corporéité et sa relation aux autres, en vivant le présent et en ayant foi en l'avenir. Et pour ma part, l'expérience de ce moment vécu là-bas, le jour de mon anniversaire, restera inscrite en moi, gravée dans la mémoire de mon corps. Ouverture et fermeture, ombre et lumière, fantaisie et pédagogie, et bien d'autres couples d'inter-relations nous étaient donnés à vivre et à voir, à percevoir et à saisir peut-être dans cet espace-temps magique qui regorgeait de découvertes et de merveilles.

Tadao Ando travaille beaucoup à base de maquettes. Il raconte d'ailleurs qu'il a construit les maquettes de toutes les réalisations de Le Corbusier, lesquelles maquettes se trouvent à La Fondation Le Corbusier désormais. Il fait appel bien-sûr aux croquis et dessins, mais il a pour habitude de s'appuyer aussi sur la photographie. L'exposition et son charme reposent sur tous ces éléments. Nombreuses maquettes, dessins et photographies de l'architecte jalonnaient l'exposition sans compter les vidéos qui défilaient un peu partout, en plus ou moins grand format, sur des supports divers et variés. Alors que ces mille objets d'intérêt manifeste auraient pu disperser mon attention, j'ai constaté qu'en réalité ma concentration n'en était que grandie. Je me focalisais sur une chose après une autre, et parfois je levais les yeux pour regarder un tout qui m'environnait, puis m'asseyais sur un petit banc aux côtés d'autres personnes pour visionner une vidéo...
J'ai passé bien plus de temps que je n'avais imaginé, à parcourir cette exposition. J'aurais aimé y rester bien plus longtemps afin d'observer mieux tout ce qui nous était présenté. Tadao Ando dit :

Les bâtiments, les villes, que je veux construire, doivent pouvoir toucher le cœur de leurs habitants pour qu'ils soient fiers d'y vivre, pour qu'ils en tirent courage et liberté.

C'est probablement ce qu'il a réussi à communiquer de par la scénographie qu'il a pensé pour ce lieu. Le commissaire général de l'exposition, Frédéric Migayrou, semble être lui-même parfaitement en ligne avec l'esprit de l'architecte.

   

    

Tadao Ando n'a pas eu la possibilité, jeune, de faire des études. Il est devenu boxeur, il a fait des économies. Puis en 1965, première année où les japonais ont eu le droit de sortir de leur pays après la seconde guerre mondiale, il a écouté les conseils de sa grand-mère : il a dépensé toutes ses économies pour être et devenir ce qu'il avait envie d'être et de devenir. Il est parti faire un tour du monde, Europe de l'est, du nord, Afrique, Inde... il est allé observer le travail des architectes sur tous les continents. De retour dans son pays, ne pouvant intégrer un cabinet d'architectes, il réalise sa première maison, qui sera la sienne, et deviendra son agence. La Maison Azuma, cette "Guerilla House" a été un manifeste pour lui. « J'ai voulu me dire que tout était possible tant qu'on y consacre assez de force. » Car jusque là au Japon la maison n'était pas une réalisation architecturale, réservée plutôt aux bâtiments institutionnels tels les musées et bibliothèques.

             

« En la construisant j'ai réfléchi à ce que veut dire habiter. »

Et dans cette notion d'habiter, il intégrera la vision japonaise ainsi que celle internationale, les enjeux éternels et ceux modernes, de rationalité, d'économie et de fonctionnalité. Il complète le tout par sa vision très personnelle de l'objet même de l'architecture. Ainsi, ce sera «  une histoire d'être ensemble avec la nature », et surtout l'intention de « créer un monde nouveau capable d'exclure tout en enveloppant, car c'est ainsi qu'on crée la corporéité, tout comme dans les haïkus de Basho. » Il s'appuie sur les matériaux, les dimensions. Il emploie des murs et des piliers. Il insère des formes géométriques simples, le triangle, le cercle, le carré. Tadao Ando ferme les espaces pour les ouvrir à l'expérience du corps. Et puis. Il déploie le concept japonais de "ma". Le "ma" est l'inter-relation, le 'avec'.

« C'est le lieu où les individus dialoguent, c'est aussi le lieu qui se développe à partir de ces dialogues, par exemple le couloir d'une école maternelle, ou l'engawa des maisons usuelles. L'engawa est un espace qui regorge de possibilités : on y dialogue avec quelqu'un, on y dialogue avec la nature. C'est un lieu pour concevoir de nouvelles idées, comme dans "la place publique" en occident. C'est grâce au "ma" que l'architecture invente de nouveaux mondes. »

      

Un grand nombre de projets étaient présentés et détaillés dans l'exposition. On y voyait toujours les vides et les pleins, les reflets et les jeux de lumière. Et l'on ressentait bien que ces lieux se laissaient vivre différemment par chacun. Cela aussi, Tadao Ando l'explique avec beaucoup de simplicité. En l'occurrence il détaillait son projet de L'Église de la lumière :

« La lumière est ce qu'on désire le plus.
La lumière qui pénètre par la croix de l'église doit pouvoir être différente pour chaque personne qui la perçoit. S'il y a trente personnes il doit y avoir trente façons de percevoir la lumière. En même temps ces trente personnes ne doivent faire qu'une. La lumière y est le symbole de la communauté. »

C'est difficile pour moi de vouloir vous dire plus. Pour mieux saisir l'œuvre de Tadao Ando il faut peut-être simplement se rendre sur le lieu de ses projets et les observer. Il a réalisé trois projets en France, le tout dernier étant celui de la Fondation Pinault réalisé dans le bâtiment de l'ancienne Bourse de Commerce de Paris. Il me semble, aussi, que lire ses entretiens, les écouter en vidéo nous éclaire sur son approche. Dans l'un de ses entretiens Tadao Ando dit « Pour Gutai, créer voulait dire engager sa vie. » C'est cela que cet homme japonais architecte a fait et continue de faire. Il enseigne aujourd'hui l'architecture aux jeunes, dans les universités. Il les encourage surtout dans cette voie. Il raconte que lorsqu'il a reçu la médaille Alvar-Aalto en 1985, il ne comprenait pas pourquoi on l'avait choisi pour cette distinction. Il n'avait réalisé que des maisons, petites, aucun projet d'envergure. Et cette médaille avait été remise avant lui pour de grands projets tels l'opéra de Sydney. Alors en s'adressant aux jeunes il leur dit « Tant qu'on lutte pour imposer son concept, il y aura toujours quelqu'un pour regarder. Les jeunes aussi, j'aimerais qu'ils fassent de l'architecture en étant fier de savoir que dans le monde entier des gens regardent leurs travaux... »

Mais pour finir j'aimerais vous raconter une dernière anecdote qui m'a charmée, un dernier dire de cet homme inspiré et déterminé. On lui demande si cela n'est pas étrange aujourd'hui d'être professeur dans les écoles d'architecture les plus réputées du monde, les plus inaccessibles aussi, lui qui justement est un autodidacte. Ne serait-ce pas contradictoire que vous donniez aujourd'hui du crédit au savoir et à l'intelligence académique, lui dit-on. Et Tadao Ando de dire en réponse que ce ne sont ni le savoir ni l'intelligence académique qui font un bon architecte. Qu'est-ce, alors, lui demande-t-on ? C'est la mémoire. Je n'ai jamais oublié la maison dans laquelle j'ai grandi enfant. Je n'ai jamais oublié la sensation d'habiter cette maison. C'est avec cette mémoire que je crée... C'est pour cela « qu'il faut créer en pensant jour après jour que nos constructions transmettront nos modes de pensée, pour l'éternité. »

Pour explorer plus avant les réalisations de Tadao Ando vous pouvez vous procure ce livre relié, catalogue de l'exposition :

Tout au long de cet article j'ai fait référence à des entretiens menés avec Tadao Ando. Vous pourrez regarder la vidéo des entretiens menés par Frédéric Migayrou, commissaire de l'exposition en cliquant ici ou lire une série d'entretiens réalisés suite au projet de construction du musée d'art moderne de Fort Worth qu'il a réalisé au Texas :

TADAO ANDO
Du béton et d'autres secrets de l'architecture
Traduit de l’anglais par Leonor Baldaque
éd. de l'Arche, 2007

Cette exposition a été organisée conjointement par le Centre Pompidou, la Fondation du Japon et Tadao Ando Exhibition Committee et a été mise sur pied par
Commissaire : Frédéric Migayrou
Commissaire associée : Yuki Yoshikawa
Chargée de production : Cathy Gicquel
Architecte-Scénographe : Laurence Le Bris
Scénographie conçue par Tadao Ando Architect & Associates

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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