La Musique au cinéma : 3 films

Pour accompagner le thème Musique du Book Club de Kimamori, j’ai choisi trois films emblématiques, tout en sachant que tout choix est restrictif et qu’il est un devoir de se pencher une fois dans sa vie sur les comédies musicales américaines des années 40 et 50 !

Commençons par le somptueux, crépusculaire, nostalgique chef-d’œuvre bengali, film qui a enthousiasmé spectateurs et critiques du monde entier : Le Salon de musique de Satyajit Ray (sorti en Inde en 1958 et en France en 1981). Donner une fête dans son salon de musique était une tradition de prestige tout autant que d’amour de l’art musical pour les aristocrates - mécènes.
Un vieux raja ruiné dont on comprend qu’il a perdu femme et enfant dans un naufrage, vit solitaire et triste dans un palais décrépi autrefois florissant et rempli de musique. En entendant les préparatifs d’une fête chez son voisin, roturier et vulgaire, il décide de tirer sa révérence à son monde perdu. Il organise un dernier concert privé où il engloutit le peu de fortune qui lui reste. Voilà un résumé succinct ; l’essentiel du film est l’éblouissance de la mise en scène : la magie des éclairages en halos subtils, les travellings lents et amoureux sur chaque musicien, les gestes et regards minutieusement capturés. Satayajit Ray déploie une mélancolie et un esthétisme étourdissant, servant une réflexion contemplative et passionnée sur la musique ; l’auditeur et le musicien se répondent dans la même ivresse. Sans oublier que les musiciens, chanteurs et danseuse filmés sont des artistes reconnus de la musique classique hindoustanie ; la scène de danse Kathak et les chants dans le style Khyal vont vous renverser.
Plus léger et plus récent, voici Chico & Rita, film d’animation hispano-britannique de Fernando Trueba et Javier Mariscal sorti en 2011 et adapté du roman graphique éponyme de J. Mariscal. Adaptation éclatante de couleur, de swing, de langueur sensuelle, inspirée de la vie du pianiste cubain Bebo Valdès dont plusieurs morceaux accompagnent la bande-son.
Le film nous entraine du Cuba des années 50 (du régime bientôt balayé du dictateur Battista), au New York des années 60 et plus, à la suite des amours tumultueuses d’un pianiste de jazz cubain et d’une enjôleuse chanteuse métisse ; on les suit à la poursuite des petits contrats et des galères, sur fond de jalousies professionnelles, séparations, retrouvailles jusqu’ au New York du Be-bop. Tout swingue dans ce film, les scènes de concert sont traversées d’une énergie authentique ; la musique n’est pas qu’un simple adjuvant, elle est l’élan vital, le souffle qui fait tenir chaque musicien, le rythme qui réveille le monde. Sans parler du formidable dessin de Mariscal qui offre un hommage stylisé à ces années-là, particulièrement des rues, bars , villes, concerts. Ce film est un petit bijou en forme d’ode au jazz latino.
Petit conseil si vous aimez le jazz latino : voir Calle 54 superbe documentaire sur tous les musiciens de ce genre musical et bien-sûr le célèbre Buena Vista Social Club de Wim Wenders.
Changement d’époque et d’ambiance : l’URSS de Brejnev, année 80, Leningrad. Leto, film sorti en 2018, réalisé par Kirill Serebrennikov (film précédent impressionnant Le disciple), cinéaste assigné à résidence puis accusé dans une affaire qui sent la machination, bref loin des petits papiers du Kremlin.
C’est une sorte de Jules et Jim dans l’univers underground d’une jeunesse qui connaît T. Rex, Bowie, le Velvet et qui veut créer sa propre musique Rock-Pop. Loin du spleen et de tout pessimisme, une petite communauté de musiciens et de fans gravitent autour d’un trio. D’abord le beau gosse, Viktor Tsoï (chanteur eurasien culte en URSS dont le morceau New Wave, Changement, a été l’hymne de la jeunesse au moment de la pérestroïka, décédé en 1990, mais qui dans le film est encore un compositeur et chanteur débutant), puis Mikhaïl Naoumenko leader d’un groupe qui commence à être célèbre et qui au lieu d’être jaloux, protège et encourage ce jeune et talentueux garçon. Il pourrait être jaloux car sa belle compagne Natasha en pince pour le beau gosse et devient vite sa muse. Et c’est là que le film nous déroute et nous entraîne ailleurs : pas de drames, pas de disputes, mais une douce amitié, un courant de création musicale, de merveilleux passages d’écoutes «religieuses» de disques pop venus de l’occident, une admiration mutuelle, un jardin secret clandestin loin de la chape de plomb soviétique allègrement détournée, une volonté inébranlable de répondre aux cousins occidentaux : la pop musique comme trésor commun, l’ébullition musicale en dénominateur commun.

Le noir et blanc du film est nostalgique de cette époque avant internet où l’écoute était miraculeuse, où la jeunesse soviétique se réveillait au son d’une musique interdite. Beaucoup d’humour dans ce film lorsque les musiciens et leur public essaient de détourner la censure et les interdits. Le cinéaste a eu l’idée géniale d’incruster par dessus ses scènes filmées, des séquences graphiques très stylisées pleines de gribouillis et de dessins colorés, transformant des morceaux musicaux chantés par toute cette bande d’amis en clips surréalistes et parfois punk, procédé original qui sublime, à mon avis, des morceaux Rock-Pop très connus. On sort de ce film euphorique, avec une énergie folle, rincé par tant de grâce et de promesses ! La mélancolie viendra plus tard, on était en 1980...

Cet article a été conçu et rédigé par Françoise Shah, fan de cinéma et de littérature.

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