La Sonate à Bridgetower (Sonata Mulattica), d’Emmanuel Dongala

L'Histoire, par la musique

La Sonate à Bridgetower d'Emmanuel Dongala est un concis d'Histoire, et d'histoire de la musique, travaillé en roman. Très belle fresque historique, le récit nous plonge dans le temps de la révolution française et nous transporte d'une ville européenne à une autre. J'ai choisi de le lire à l'occasion de notre Book Club thématique consacré à la musique. Et j'ai été ravie, par ce regard extérieur porté sur toutes choses, mais avec douceur, sans jugement, sans drame. Lecture agréable à l'âme et instructive pour l'esprit : j'ai retrouvé Emmanuel Dongala tel que je l'avais aimé dans Photo de groupe au bord du fleuve lu il y a une dizaine d'années.

À l'instar de Leopold, le père de Mozart, Frederick de Augustus, un Noir de la Barbade qui a servi le prince Esterhazy d'Autriche une dizaine d'années, décide de faire une tournée en Europe pour faire connaître son fils George, violoniste prodige. Père et fils se rendront à Bruxelles, puis à Paris et ensuite à Londres. Le père, rusé et connaissant bien l'esprit des salons et des aristocrates européens de l'époque, parvient à faire lancer la carrière de son fils, le jeune musicien extraordinaire, et le faire célébrer dans le tout Paris. En fin négociateur il pourra ainsi mener un joli train de vie grâce au talent de George. Mais ils sont arrivés à Paris à la veille de la révolution. Il la verront naître sous leurs yeux avant de partir prestement pour Londres, nouvelle capitale européenne où nous les verrons poursuivre leurs aventures.
D'une ville à l'autre, nous rencontrons les grands musiciens, compositeurs, savants, influenceurs et figures historiques de cette génération trouble et porteuse. Comme dans Lettres persanes de Montesquieu nos personnages principaux viennent d'ailleurs. Ils regardent avec candeur et amusement les mœurs de ces sociétés européennes, et s'interrogent. Car le père est un mulâtre, son père a lui a été un esclave. Cette société très éclairée, comment considère-t-elle les questions de l'abolition de l'esclavage, ou de libération de la femme .. Les deux décennies que nous coulerons au côté de George Bridgetower nous en dirons long sur bien des questions.

De nos jours, dans ces premières décennies du XXIème siècle, les romans sont souvent perturbants. Ils ont besoin d'évoquer des questions importantes, de porter les yeux sur notre monde et les travers actuel de de l'Homme. De ce fait, il n'est pas facile de trouver des livres qui ne soient pas anxiogènes, qui ne portent pas de violence ou de déprime en leur sein. Mais justement, aujourd'hui plus que jamais, nous, lecteurs, sommes à la recherche de romans qui offrent de la douceur. En voici un par excellence. Il aborde les questions essentielles et ne se voile la face en rien, et pourtant il est tendre, et sa lecture apaisante.

Comme vous pouvez l'imaginer La Sonate à Bridgetower est extrêmement bien documenté. Les lieux, les tenues vestimentaires, les coiffures, les modes de transport, les journaux et magazines .. tout est d'époque, et merveilleusement restitué. Nous baignons dans un texte à la cohérence parfaite, tracée de main de maître par l'écrivain Emmanuel Dongala. Et ce ne sont pas uniquement les décors et les liens entre les événements historiques qui nous enchanteront. Les personnages sont vrais !
Nous côtoyons une Olympe de Gouges vaillante et fringante ; Lavoisier, Condorcet, Lagrange, Monge, Borda sont attablés et se creusent la tête pour trouver une unité de mesure en lien avec les mesures de la Terre, ou encore, nous croisons un jeune Alex Dumas ..
Et puisque nous sommes au cœur de l'histoire de la musique, les compositeurs et musiciens tant révérés seront avec nous, en chair et en os, avec leurs vertus et leurs défaillances. Ludwig von Beethoven apparaîtra dans le dernier tiers du récit : original, déterminé, de caractère intempestif et torturé .. ce grand Beethoven qui aurait écrit la Sonata Mulattica pour le jeune George Bridgetower. L'un est un géant dont nous avons hérité, l'autre un inconnu, que nous avons oublié.

J'ai lu La Sonate à Bridgetower lentement et tranquillement. J'en lisais d'autres en parallèle, et celui-ci me berçait l'âme, me maintenait dans la simplicité ancestrale et intemporelle de l'histoire que l'on me conte, avant que je m'endorme le soir. Jadis, histoire et Histoire n'étaient pas séparés. Et ce jadis réincarné ici m'émeut.

LA SONATE À BRIDGETOWER (Sonata Mulattica)
Emmanuel Dongala
éd. Actes Sud 2017
Prix Montesquieu 2018

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Sculpture Etienne Pirot,
- Beethoven, image issue du site Marseille Concerts.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

Leave a Comment