Quién te cantará, réalisateur Carlos Vermut

Imiter, feindre, s'émousser : une chaîne sans fin ?

Une femme qui imite une chanteuse qui elle-même a eu imité une autre femme. L'une imite mais a su composer et écrire des paroles de chansons. L'autre imite parce qu'elle n'a jamais su composer et écrire les paroles. Elles vivent dans l'imitation ; elle feignent ; elles ne sont pas heureuses. Mais seraient-elles heureuses si elles cessaient de feindre et d'imiter ? Cela dépend. En quelques phrases je vous ai tout dit de ce film énigmatique, troublant, par moments fort perturbant. J'ai aimé ce film. Il n'est pourtant ni rose ni apaisant. Il est certes très fidèle au cinéma espagnol, que j'aime tant, et puis il est juste. Les spectateurs n'aiment pas la fin, les critiques non plus, mais moi qui suis avant tout une lectrice j'ai trouvé qu'aucune autre fin n'aurait été crédible. Et dans cette fin sombre j'ai vu un joli message et même de l'espoir.

La première scène du film se déroule à la plage. Une femme est allongée sur le sable, elle est inconsciente. On imagine qu'elle s'est noyée. Une autre femme essaie de la secourir, de la ramener à la vie. Puis nous voyons la rescapée à l'hôpital. Elle va bien, simplement, elle est devenue amnésique. La femme qui l'a sauvée est à ses côtés. Elle se présente comme une amie, lui explique qu'elle est une grande chanteuse, une star, et qu'elle a une grande tournée prévue dans deux mois. La jeune femme rentre donc chez elle, accompagnée de l'amie, et tente de retrouver la mémoire, pour se retrouver, pour être à même d'assurer sa tournée. Mais elle n'y parvient pas.
Parallèlement nous faisons la connaissance de Violeta, une autre femme, modeste, qui travaille dans un karaoké. Elle imite la grande chanteuse à merveille, et surtout, elle est une fane absolue de la star en question, Lila Cassen. Elle vit avec sa fille adolescente qui a des problèmes psychologiques importants et qui soumet sa mère à un chantage constant, la menaçant de se suicider si la mère ne cède pas à ses caprices...  Mais son plus grand rêve va se réaliser. Elle va rencontrer Lila Cassen, elle va même passer énormément de temps chez elle, avec elle, pour lui ré-apprendre à être celle qu'elle a été. Voilà, le décor est posé, très tôt dans le film. Et nous passons le restant du film avec ces quatre femmes.

Le rythme du film est plutôt lent. La photographie est magnifique et nous sommes souvent face à la mer, à ses grandes étendues, dans cette maison haut perchée qui surplombe la mer, une plage privée semble-t-il. Les scènes chantées sont succulentes. Les scènes perturbantes et semi-violentes insupportables. Une angoisse plane, partout, et enrobe les quatre femmes, étouffe chacune de ces femmes. L'étude des personnages est jolie mais surtout ce qui m'a plu est que rien n'est dit. Aucune ne s'explique. Ce ne sera qu'à la toute fin du film que les révélations se feront entendre. Le scénario est bien écrit. Rien n'est de trop. Rien n'est trop visible. Mais le tranchant est là malgré tout. D'une manière ou d'une autre ces femmes ont mal, se font mal... à elles-mêmes. Mais elles sont patientes. Elles cherchent leur chemin.

  

   

C'est assez frustrant de faire cette chronique, de parler de ce film et de ne pas pouvoir parler de la fin. Car j'aurais aimé que l'on puisse échanger nos avis. J'aurais aimé vous interroger. J'aurais aimé pouvoir expliquer en quoi j'ai trouvé cette fin honnête. La seule "réparation" possible est proposée, est actée, sans drame, sans histoires ; mais bien entendu on peut trouver cela dramatique. Et je pèse mes mots en parlant de réparation. Il n'est pas possible de remonter le temps pour réparer. Mais il est possible, peut-être, de réparer autrement ?

Alors, de quoi parle ce film ? De l'expression de soi, peut-être, de la capacité de pouvoir s'exprimer, mais aussi des phénomènes qui bloquent parfois cette capacité d'expression. C'est un thème assez philosophique, voire relevant de la pensée de civilisations anciennes d'Asie. Il suffit que chacun soit lui-même. Il suffit d'être soi-même pour se sentir satisfait. Mais ce n'est pas le chemin que prennent les vies. Cela s'appelle des destins !

QUIÉN TE CANTARÁ
Réalisateur : Carlos Vermut
Scénario : Carlos Vermut
Compositeur : Alberto Iglesias
Directeur de la photographie : Eduard Grau
Casting : Najwa Nimri, Eva Llorach, Carme Elias, Natalia de Molina
Date de sortie France : 24 octobre 2018

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

Leave a Comment