Betty, de Tiffany McDaniel

Hommage à une mère

Une amie m’avait conseillé ce livre, sorti en France cet été, Prix du roman Fnac 2020, Prix America du meilleur roman 2020, en le qualifiant de « lumineux ». En lisant la quatrième de couverture et en feuilletant ce livre, j’avoue avoir craint une énième histoire de famille dysfonctionnelle mâtinée de poésie pseudo amérindienne. Bref, je me suis lancée dans sa lecture à reculons ..... et le miracle des mots de cette toute jeune auteure américaine de 35 ans a opéré, et ne m’a plus lâchée pendant 700 pages. L’auteure Tiffany McDaniel est aussi poétesse et plasticienne, ce qui se ressent dans son écriture.

Elle déroule sur plusieurs décennies l’histoire de sa mère, Betty, jeune métisse americano-cherokee, sixième enfant de la famille Carpentier, qui après des années d’errance et de petits boulots s’est installée finalement à proximité d’une petite ville de l’Ohio. Tout ici fait figure de personnage à part entière. Les enfants, leurs parents et grands-parents mais également les près, les bois collines avoisinants - parcourus de rumeurs et légendes qui tissent le lien avec la cosmogonie Cherokee - portent le drame de concert. La maison familiale, elle-même, délabrée et pourtant cocon rassembleur, est historiquement frappée par le mauvais sort et traversée de fantômes.

Que sa famille soit frappée par le mauvais sort, c’est ce que va très vite penser Betty durant ses jeunes années, elle qui a la peau plus noire que les autres dans ces années 60, elle dont les parents sont pauvres et déclassés, elle qui assiste peu à peu à la fin du monde merveilleux de la petite enfance auquel elle croyait appartenir immuablement.

En grandissant Betty se confronte aux meurtrissures de chacun, aux blessures de ses parents, à l’héritage des abus qui se transmettent de génération en génération, aux hommes qui deviennent comme des loups, aux mères incapables d’aimer.  Mais ce monde où l’on doit se défendre est traversé par une immense lumière qui est la figure paternelle. Splendide personnage inoubliable, capable de transfigurer la réalité, de la magnifier, de relier le plus petit élément de la nature aux splendeurs du Cosmos, il donne à Betty les clés pour transcender les maux quotidiens, et se rapprocher de ses origines Cherokee. On comprendra peu à peu que ce conteur magnifique et naturaliste a tenté de transmettre la force de ses savoirs à chaque enfant. Certains s’en serviront, d’autres ne sauront pas survivre à leurs rêves échoués. Betty, elle, ne sera jamais une victime et les étoiles allumées par ce père la porteront et en feront une guerrière. Elle écrit tous les jours, dépose sur le papier sa vie quotidienne, petits papiers qu’elle cache dans des pots de verre enfouis dans la terre. Elle consigne tout, poèmes, secrets honteux, chansons, comme une thérapie. C’est sa bouée et c’est comme un cadeau offert à travers le temps à l’auteure qui est sa fille, comme si elle lui disait « écris mon histoire » .

Il y a aussi ses deux sœurs avec qui elle forme un trio querelleur mais plein d’amour avant que le malheur ne frappe, le malheur d’être une femme vers qui rôdent des hommes malveillants. Leur histoire nous serre le cœur, tellement familière dans les récits de souffrances féminines. Et ce petit frère bègue qui semble un peu attardé et qui se révèle être le meilleur dépositaire des savoirs paternels. Personnages qui semblent venir de l’univers de Faulkner, tout comme le style d’écriture, haché, âpre, qui pourtant laisse place régulièrement à des échappées poétiques, comme des bouffées d'air.

Chaque chapitre présente en exergue des versets bibliques, prémonitoires de drames, ou de victoires. Le texte est très précis, les dialogues sont incisifs, les descriptions de la nature et de ses animaux saisissantes, et comme évoqué plus avant les envolées poétiques thérapeutiques, bref un travail complet et généreux de la part de l’auteure. Parfois un article d'un journal fictif du coin ajoute une note d’humour ou de mystères et de doute.. Tout mystère et tout doute seront balayés, il faudra aller aux dernières pages du livre pour en comprendre sa totalité.

Roman de l’innocence confronté à la violence
Roman de la résilience, de la dignité, de l’hommage aux femmes
Roman à la gloire de la nature qui nous console pour autant qu’on veuille se confier à elle. Magnifique ode à une mère et un grand père Cherokee...
Il y a des livres, des auteurs qu’on aimerait remercier du don qu’ils font à leurs lecteurs ... il y a des personnages de fiction qu’on aimerait serrer dans nos bras pour sceller nos chagrins et nos forces. Merci mademoiselle McDaniel !!!

BETTY
Tiffany McDaniel
Traduit de l'anglais (américain) par François Happe

éd. Gallmesiter 2020
Prix du roman Fnac 2020
Prix America du meilleur roman 2020

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Photographie de Betty enfant (issu du site de l'auteure),
- Charles Rowland, détail.

Cet article a été conçu et rédigé par Françoise Shah, fan de cinéma et de littérature.

Comments

  1. Très beau résumé, Françoise donne envie de lire l’histoire de Betty et de découvrit Tiffany McDaniel

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