De la beauté, de Zadie Smith

Le prix de l'Amour

De temps à autre on est aiguillé vers un livre, par un hasard inattendu, et peu importe l'année de publication de l'écrit en question, il nous touche, de plein fouet. Oui, c'est un très grand coup de cœur que je partage avec vous aujourd'hui. Ce livre m'a parlé, comme s'il venait de s'écrire, comme s'il avait toujours été écrit, et assurément, que je l'attendais. Un des personnages du roman est désormais pour moi une amie chère, qui vibrera toujours dans les battements de mon cœur. À chaque croisement de rue je la verrai, à chaque moment de réflexion et de décision je penserai à elle. De la beauté est un écrit profondément humain, et il me semble qu'il touche de très près le sens de la vie.

Le roman se termine sur cette image, tableau de Rembrandt peint en 1651. Le professeur d'université qui l'a sélectionné pour la conférence qu'il donne ce jour-là, ne commentera pas le tableau. Mais une femme est là, dans l'assemblée. Elle regarde, et sourit, elle comprend. Cet homme et cette femme se comprennent à cet instant-là. L'histoire se termine avec grâce et en harmonie avec son titre si vaste, si ambitieux De la beauté. Et si la fin est si ouverte vers l'avenir c'est parce que dans le livre nous avons déjà exploré et traversé tous les obstacles, déceptions, joies et travers de l'Homme.
Dès la première page nous somme plongés dans la vie de deux familles et de ses membres : deux pères, tous deux professeurs d'université, deux femmes - leurs épouses - qui deviendront amies alors que leurs maris se haïssent. Nous lirons l'histoire de leurs enfants et de leurs interactions mais également celle des couples. Le roman raconte les hommes et les femmes. Mais il raconte aussi la vie des noirs américains, des haïtiens, des jeunes qui se cherchent, des positions politiques qui s'affrontent, des rappeurs, des poètes, des gens fidèles et des gens infidèles.

Eh oui, mes amis, c'est le roman de la vie, avec tout ce qu'il contient de beau et de moins beau. C'est aussi le roman du coeur versus l'intellect, de l'ambition versus le bonheur ! Or ce n'est pas pour ces grandes raisons qu'on s'éprend de ce texte... ce serait plutôt parce qu'il est extrêmement drôle tout en étant riche de drames de toutes sortes. Il est haletant tout en étant profond. Il est léger tout en étant grave. Il pose à plat mille questions mais ne tente pas d'y répondre. Tout comme la vie, le seul secret est de vivre chaque moment, et ici de lire chaque page, chaque phrase, chaque mot. Simplement cela. Mais en ayant les yeux ouverts et en écoutant la musique qui se dégage du texte. Car l'art, la poésie guident le roman !

Les deux familles qui portent le roman sont constituées de noirs américains. Certains membres de la famille ont émigré de l'Angleterre, d'autres son nés aux États-Unis. Les cinq enfants de ces deux familles respectives, tous adultes ou grands adolescents, illustrent à eux seuls toutes les tendances de la société, toutes les croyances ou manques de croyances. À eux seuls ils offrent un joli arc-en-ciel de personnalités et de natures. Je vous le disais au début de cette chronique, les personnages sont hauts en couleurs et terriblement émouvants. Chacun se débat avec ses désirs et ses ambitions, chacun tente de tracer son chemin de vie. Et ici, dans ce bref laps de temps où nous sommes avec eux, ils ne pourront faire autrement qu'avancer, construire, et parfois déconstruire, ensemble. C'est cet ensemble merveilleusement peint par l'écrivaine Zadie Smith qui nous surprend, qui retient notre attention, qui nous ébranle et nous absorbe. Qu'il s'agisse de professeurs d'université, de garçons de la rue, de filles sexy ou de femmes sublimes, tous rencontreront leurs limites. Ils seront amenés à choisir qui ils sont, qui ils veulent être, et à accepter un héritage multiple qu'ils devront honorer.

Qui dit multiple dit également multiculturel. N'oublions pas que ce roman a été publié pour la première fois en 2006. À l'époque le multiculturalisme n'était rien d'autre que ce qu'il disait dans le mot qui l'exprimait. Depuis, ce mot est devenu un concept, souvent dénigré, souvent tourné à une sauce politique qui y donne une saveur péjorative. L'Europe, l'Asie, l'Afrique, les Caraïbes se côtoient ici, dans la couleur de peau des protagonistes, dans leur accent, dans leurs causes, dans leurs sensibilités. Les couleurs politiques jouent un rôle important aussi dans leurs préoccupations. La différence entre l'homme et la femme, la question des genres, le mariage, la fraternité sont encore d'autres couleurs et lumières qui viennent scintiller sur cet océan humain. Car c'est la relation à l'autre qui est contée dans ce roman. L'écrivaine met en exergue du livre une citation de son époux, poète : Time is what you spend on Love (le temps est ce que vous investissez dans l'amour). Chacun est un toit qui abrite et protège l'autre, est encore une autre citation que je traduis textuellement. À chacun de trouver ses mots, à tous de faire l'effort de s'entendre.

DE LA BEAUTÉ
(On Beauty)
Zadie Smith
Traduit de l'anglais par Philippe Aronson
éd. Gallimard 2007 (v.o. 2006)
sortie poche folio 2009

Les images présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Rembrandt (Femme se baignant dans une rivière) 1651,
- Ruben (Quatre études de la tête d'un Maure) 1617.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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