Elisa Shua Dusapin : Hiver à Sokcho & Vladivostok Circus

« On dit qu'on veut du rêve mais en vrai, c'est la faille qu'on espère. »

L'écrivaine Elisa Shua Dusapin, de père français et de mère sud-corréenne écrit en français. Tous ses livres sont publiés par la merveilleuse maison d'édition suisse ZOE. Mais j'ai rencontré son œuvre, pour la première fois, au moment où un de ses romans, Hiver à Sokcho, traduit en anglais, remportait le prestigieux prix littéraire National Book Award 2021. J'ai alors lu ses deux derniers romans, l'un en version originale, l'autre en anglais.
La grâce déployée dans ses mots, le style puissant qui porte cette écriture, sont si affirmés qu'à mon sens on peut savourer les romans Elisa Shua Dusapin en toute langue. Le lecteur trouve stabilité et simplicité en s'y plongeant.. et en ressort ému par ce quelque chose de fragile que l'on pourrait nommer la vie, l'amour, ou l'humain.

Je vous présente ci-dessous chacun de ses deux romans, et mon parcours, mes ressentis de lectrice.

Hiver à Sokcho, paru en français en 2016, se déroule dans la minuscule ville balnéaire Sokcho, tout près de la frontière sud-coréenne. Un illustrateur français arrive à Sokcho, hors saison, et s'installe dans la petite auberge où la narratrice travaille comme réceptionniste et cuisinière. Nous apprendrons à les connaître au même rythme qu'ils se révéleront l'un et l'autre. Récit de leur quotidien, de leurs balades communes - lorsque le français demande à la jeune Corréenne de lui faire connaître la vie locale - et de leurs solitudes, nous avançons dans la lecture du roman comme nous parcourrons la vie. Rien n'est dit directement, nul besoin d'explications, mais le lecteur est engagé sur une voie qu'il ne souhaite quitter. Et à chaque pas on fait des découvertes : la plus insignifiante des images étant porteuse de la plus essentielle des vérités !

Dès lors que j'avais lu et aimé ce roman en anglais (traduit par Aneesa Abbas Higgins), j'ai voulu me lancer dans la lecture de Vladivostok Circus - le tout dernier roman publié d'Elisa Shua Dusapin - en français. Pour savoir si l'on retrouvait la même écriture, si la traduction avait été fidèle et respectueuse comme le prix décerné semblait le clamer. Et pour retrouver cette façon particulière de raconter une histoire, en s'attachant à une relation qui pourrait dire l'Histoire ou qui dessinerait l'humanité sans le savoir.

Dans Vladivostok Circus les personnages principaux sont un peu plus nombreux : un trio qui se forme pour une représentation dans la discipline de la barre russe, une costumière étrangère engagée pour l'occasion, et le metteur en scène. Encore une fois nous sommes dans un récit de peu de mots, de dialogues réduits à leur essentiel. La relation entre les personnages, durant la tranche de vie narrée, est porteuse d'absolu. Car c'est dans une confiance sans limite qu'ils devront travailler et vivre ensemble leur projet de la barre russe. De cette confiance pourra naître leur succès. La moindre défaillance en revanche peut valoir jusque la mort. D'ailleurs le trio était précédemment formé par trois hommes, dont un père et son fils. L'un des deux est morts.
J'ai retrouvé l'écriture sobre et magnifique d'Elisa Shua Dusapin. Ce quelque chose chez elle que certains critiques ont rapproché de Marguerite Duras accueille toujours notre esprit intrigué. Et j'avoue que j'ai été frappée par la capacité de l'auteure à me faire saisir la pratique de la barre russe. Etrangement au même moment je lisais une nouvelle où cette même discipline était en jeu, et je ne comprenais rien aux scènes narrées. Dans Vladivostok Circus c'était limpide, l'art et la pratique de la barre russe m'étaient tendus sous les yeux sans nécessiter d'effort de ma part, me libérant ainsi l'attention que je pouvais accorder au reste : à ce qui se jouait d'essentiel sous mes yeux !

Heureuse d'être entrée dans l'œuvre d'Elisa Shua Dusapin, je sais que je ne cesserai d'y revenir, pour découvrir d'autres livres, et pour relire. Oui, cette œuvre mérite la relecture, et nous y invite. Je ne doute pas que cette relecture sera aussi savoureuse et énigmatique que je pourrais le souhaiter.

VLADIVOSTOK CIRCUS
Elisa Shua Dusapin
éd. ZOE, 2020

HIVER À SOKCHO
Elisa Shua Dusapin
éd. ZOE, 2016
Lauréat National Book Award 2021

La photographie présentée dans l'article nous montre Barcode Company à la barre russe.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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