Feu, de Maria Pourchet

« Déboule un mec, encore un autre, Oreste qu'on l'appelle. " Oh reste !" »

Je découvre Maria Pourchet avec ce titre de la rentrée littéraire 2021. Feu est pourtant son sixième roman publié. Naturellement je ne saurais le comparer aux textes qui précèdent, pour mesurer mon ébahissement. Mais je peux vous dire que ce récit brûle et embrase, effare et ravage d'une flamme propre. Chaque page nous illumine avec une tendresse intransigeante. Et si la littérature, de tout temps, s'est nourrie des histoires d'amour, c'est probablement pour disséquer, comme ici, les plaies invisibles de l'homme, de la femme, a priori ordinaires..
L'écriture est d'une grand force dans ce roman. J'ai ri, parfois à voix haute, j'ai été agrippée par son rythme insolent, bercée par la fluidité des rivières de paroles et de pensées qui font leur chemin infaillible. J'ai été grisée par l'intelligence du récit. Et j'ai dû méditer ensuite, sans le savoir, dans mon sommeil. Feu est si riche, et généreux, que chaque lecteur y plongera profondément, sans prendre garde, et y trouvera ses propres passions et désenchantements.

Le roman s'ouvre sur une rencontre, un déjeuner professionnel dans un café parisien. Une professeure d'université est face à un représentant des hautes sphères de la finance (banques d'investissement). Elle souhaite l'inviter à un colloque qu'elle organise. Or la voilà électrisée par l'homme qui lui fait face. Lui, de son côté, est intrigué par cette femme à mille lieues de son entourage habituel. Une relation passionnelle s'engage entre cette femme mariée, mère de deux enfants, et cet homme détaché de tout qui a pour seul compagnon et confident son chien, un bouvier bernois qu'il appelle Papa. Nous entrerons progressivement dans leur intimité, côtoierons leur famille et leur environnement professionnel. Nous verrons le drame s'annoncer et s'enclencher, comme les deux amants l'avaient prédit dès les premières pages .. et l'on continuera de tourner les pages, fasciné, pour savoir. Ce n'est qu'à la toute fin du roman que l'intrigue se dénouera, pour nous laisser face à une révélation digne des meilleurs polars et thrillers.

L'histoire d'un adultère, d'une vie de famille mise en danger au péril d'une passion peut-être fortuite, nous l'avons mille fois lue. Oui. Mais ici elle nous est rapportée tour à tour par les deux protagonistes, Laure et Clément. Les chapitres leur étant alternativement dévolus. Laure s'adresse à elle-même, d'un tu qui nous transperce. Clément prend le je, pronom si peu personnel .. et par moments, souvent, il s'adresse à un tu ou un vous qui n'est autre que Papa, son chien.
La phrase est incisive. La pensée, la lucidité qui l'habitent d'une efficacité absolue. Nos personnages se regardent, et se voient bien, surtout au travers des regards qui les scrutent, à la maison, au travail. Chez Laure on entendra ses voix intérieures : celle de sa mère, celle de sa grand-mère, qui sont en quelque sorte La Femme, d'hier, d'avant-hier.

Les personnages principaux, qui mènent la danse, semblent être malgré tout extérieur aux deux amants : un bouvier bernois et une adolescente, Véra, la fille aînée de Laure. Véra est une jeune fille brillante, vive d'esprit, ingérable, incontrôlable, imprévisible et révoltée.
Nous en arrivons peut-être à cette autre histoire qui est narrée dans Feu, et qui m'a tant intéressée. L'histoire de notre monde actuel, un monde qui relève déjà du passé, révolu, en cendres. J'ai adoré chaque mot de ce livre qui raconte l'univers de la finance, chaque mot où l'on voit une Véra dénoncer avec véhémence le comportement de l'autre : la femme qui ne s'assume pas, l'homme qui ne s'assume pas, les enseignants, la cantine, l'amie de la mère, la sœur .. tous sont attaqués pour leur inconscience et leur irresponsabilité, ou par souci d'une lutte ultra-féministe. Je ne sais pas si c'est une caractéristiques des jeunes générations actuelles, ou simplement la mise en scène d'une universalité actuelle, que d'être véhément. Car au final chacun est un brin en dehors du monde. Clément ne croit en rien, Laure vit pour des riens, Véra crache sur le tout !
Et c'est l'âme humaine qui est croquée à chaque page. Chacun se trouve si reprochable et à juste tire peut-être. Mais l'Homme est ainsi fait : riche de ses imperfections. Ils s'aiment, ils souffrent et puis il y a un après.

D'ordinaire les personnages sont sculptés par leur auteur avec empathie. Le lecteur s'y attache, quand bien même il ne les aimerait pas. Dans Feu c'est un peu différent. On ne les aime pas nécessairement, on ne désire pas tant s'y attacher, mais ciel! comme on les comprend, chacun. Ils sont nous. Ils se laissent prendre par la vie. Leur lucidité ne les protège pas du mensonge d'une vie où il est plus facile de ne pas se voir tel que l'on est ! Et parce que ce roman nous autorise à en rire, à lire cette grande vérité avec intelligence et douceur, on le chérit. À chaque page j'ai aimé ce livre ; je ne l'ai pas lâché tant que je ne l'avais terminé. Lorsque je l'ai refermé, passé la dernière page, j'ai su que j'allais continuer de le lire, en pensées.

FEU
Maria Pourchet
éd. Fayard 2021
Sélections Prix Goncourt, Renaudot, Interallié, de Flore et Décembre 2021

Les illustrations présentées dans l'article sont  :
- Terre de feu, œuvre de Natalie Vassil (détails démultipliés),
- Chien bouvier bernois ; statue de marbre d'Andromaque par Jose Vilches.
La photographie mettant en scène la couverture du livre en tête de l'article est de ©murielarie pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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