Harpo, de Fabio Viscogliosi

Une échappée poétique !

Qu'est-ce que l'éternité, si ce n'est la vie pleine dans le présent ? Mais est-on jamais en train de vivre la plénitude de l'instant présent, occupés que nous sommes par nos activités et nos impératifs ? Fabio Viscogliosi nous transporte dans un tel présent, hors du temps, quatre mois durant, quelques cent cinquante pages durant. Et ce, sur les traces de Harpo Marx, ce comédien que nous connaissons tous pour l'avoir vu un jour dans les films noir et blanc des débuts du siècle dernier. Les frères Marx, vous vous rappelez... ces comédies tendres ? Eh bien dans ce roman nous vivrons un énigme. Un des frères Marx est livré à lui-même, amnésique, et il traverse la vie avec légèreté, insouciance, douceur, avant d'être retrouvé par les siens et de reprendre le cours de sa vie. La lecture du roman de Fabio Viscogliosi est un délice de rapidité et de lenteur, une échappée poétique maîtrisée !

Nul ne saurait dire à quel point l'histoire narrée est vraie, ou si elle est parfaitement imaginaire. Car si Harpo Marx est bien allé faire une tournée en union soviétique en 1933, s'il a bien eu un accident de voiture à son retour en France avant de s'embarquer pour les Etats-Unis, il n'a jamais révélé ce qu'il avait vécu durant ce temps mort. Au sortir de son accident il est frappé d'amnésie. On perd sa trace, et on ne le repère que quelques mois plus tard. Mais nous qui aurons lu ce roman, Harpo, saurons ce qu'il a pu vivre, de magie et d'émerveillement durant ce très bref, très long, laps de temps !

Ceux d'entre vous qui aiment lire Eric Vuillard seront immédiatement séduits. Ici l'écriture est resserrée. Les phrases sont courtes, le dire est précis et concis. Les verbes sont conjugués au présent. Rien de superflu ne vient alourdir le texte ou ralentir le rythme de lecture. Parfois même une suite de verbes s'enchaînent, séparés de point-virgules. Aucune pensée, aucune analyse, aucune interprétation ne pollue le texte, ni l'esprit de notre Harpo. Il chemine. Il s'alimente. Il fait quelques rencontres. Il est près de mourir de froid. Il est recueilli. Il partage la vie d'un homme tel celui d'un meilleur ami.

« Il arpente une carte géographique privée de légendes, et lorsque son pied écrase une petite branche, c'est la réalité tout entière qui claque avec elle. »

L'écriture ici est très ancrée mais la saveur qui s'en dégage est une envolée, impalpable. Comment Fabio Viscogliosi réussit cet exploit ? En étant parfaitement lui-même : il est écrivain mais également musicien, peintre, illustrateur. Sa discographie compte 4 albums déjà, il est l'auteur de 7 Bandes Dessinées, ses peintures sont plus récentes peut-être, et son oeuvre littéraire bien engagée depuis une dizaine d'années. Avec Harpo il fait son cinéma, et pour notre plus grand bonheur... Mais je me suis demandé si le roman n'était pas initiatique, un peu politique aussi peut-être. Or je n'ai pas cherché plus avant à qualifier l'objet. J'ai savouré. Je me suis laissée porter.

J'aimerais également vous parler du format du livre. Car il convient parfaitement au texte qu'il renferme. Un délicieux petit format, léger, aux pages longues et étroites. Le grammage du papier est agréable. Les pages se tournent vite mais nous font rêvasser. Et savez-vous quel nom porte cette collection ? Un endroit où aller, bien-sûr !

HARPO
Fabio Viscogliosi
Actes Sud, 2020

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de Fabio Viscogliosi.

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