Exit West, de Mohsin Hamid

Quel étrange livre… Froid, dur, brusque dans son sujet, doux, tendre, joli dans son traitement. Mohsin Hamid sait manier la chose littéraire. Il crée de la distance, terriblement, puis il nous montre comme nous sommes proches en réalité de ce très lointain. Un traité ancien de peinture chinoise disait « pour comprendre la profondeur il faut apprendre le proche et le lointain »… L’écrivain pakistanais excelle dans cet art. Je l’avais déjà constaté dans le précédent livre que j’avais lu de lui « Comment s’en mettre plein les poches dans un pays d’Asie émergeant ». Là comme ici l’écriture paraît froide, l’émotion n’est jamais dite ni même évoquée. Et pourtant, le lecteur est dévasté arrivé en fin de lecture, submergé par la force des sentiments que le roman a ravivé en lui. Encore une fois il aborde un sujet d’actualité. Dans son précédent livre c’était l’ambition d’un entrepreneur et son désir de devenir riche et puissant, ici c’est la problématique des migrants en nombres croissants dans le monde et la projection pleine de noirceur et de frayeur que l’on peut s’en faire dans l’avenir.

Paul Klee2

L’écrivain déploie une approche futuriste et fantastique pour parler de la grande circulation d’êtres humains dans le monde. Dans ce livre nul besoin de moyens de transport, de frontières, de visas. On se déplace en franchissant des portes.Ces portes mènent de n’importe quelle ville du monde à n’importe quelle autre ville d’un autre pays, en quelques instants, quelle que soit la distance géographique qui sépare les deux pays. Et de nouvelles portes surgissent chaque jour. Et de nouvelles personnes les franchissent chaque jour.

Nos deux personnages principaux, Nadia et Saeed, sont jeunes et commencent tous deux à travailler après avoir fait de bonnes études. Ils se rencontrent et s’intéressent l’un à l’autre. Mais leur pays bascule dans une situation infernale de guerre civile. Des miliciens renversent le gouvernement en place et tiennent la population dans un état de terreur, d’insécurité et de violence extrême. Nadia et Saeed ont le temps de s’attacher l’un à l’autre cependant que la vie devient impossible dans leur pays. Ils décident de partir et tenter l’aventure de traverser une porte… Ils se rendront à Mykonos, Londres, San Francisco, ces lieux que nous connaissons mais ne reconnaîtrons pas car c’est dans le futur que cela se passe. Un futur où les « natifs » des pays livrent un combat féroce aux « arrivants ».  Et bien-sûr l’écrivain parvient à imaginer et à nous offrir un « après » ce futur.

Zhang Daqian or Chang Dai-chienEntre les lignes la question de l’Islam est abordée. Mais le propos du livre est de nous parler de communication, de compréhension mutuelle et d’amour. Et, sentiments humains complexes obligent, nous serons gagnés par une triste nostalgie et nous demanderons, comme se le demandent les deux protagonistes, si les choses n’auraient pas pu se passer autrement, si la direction prise dans leur vie n’aurait pu être autre. La profondeur de la relation de Nadia et Saeed est accablante, si belle…

Ce livre est désormais disponible dans sa version française, depuis janvier 2018. Je recommande à tous et à toutes de lire Mohsin Hamid.

Les anglophones pourront écouter Mohsin Hamid parler de son livre dans une interview donnée à la radio américaine NPR en cliquant ici.

EXIT WEST
Mohsin Hamid
Traduit de l’anglais (Pakistan) par Bernard Cohen
Ed. Grasset 2018 (v.o. 2017)
Finaliste du Man Booker Prize 2017 et nominé Rathbones Folio 2018

Les illustrations présentées dans l’article sont les œuvres de :
– Paul Klee,
– Zhang Daqian (ou Chang Dai Chien)

 

Comments

Leave a Comment