L’été des noyés, de John Burnside

Percer une réalité invisible

J'ai lu l'écrivain écossais John Burnside, pour la première fois, très récemment. Je vous avais parlé alors, passionnément, de son Le bruit du dégel. Je poursuis mon chemin en sa compagnie, et cette fois c'est en raison de notre Book Club thématique Les Îles que je me suis plongée dans L'été des noyés.
Dans ce roman nous ne sommes pas dans des mises en abîme et thèmes centraux multiples. Nous ne traversons pas l'Histoire d'un pays. Mais fidèle à lui-même, l'écrivain nous embarque dans un monde où les réalités se superposent. Une réalité terrestre et palpable, une réalité invisible issue des légendes mythiques nordiques. Tout cela dans une île bien-sûr, au nord de la Norvège. Un délice glaçant !

La jeune narratrice du roman, Liv, a dix-huit ans. Elle habite cette île du nord, avec sa mère peintre. Une relation forte relie la mère et la fille bien que toutes deux soient secrètes et peu sujettes aux bavardages. L'une et l'autre sont de grandes solitaires, et bienheureuses dans leur univers qui semble peu peuplé. Mais la jeune Liv a grandi aussi avec un voisin, Kyrre, monsieur d'âge mûr qui intervient pour les aider avec toutes sortes de réparations dans la maison ; et Kyrre connaît tous les contes, toutes les légendes. Chez lui on peut glaner mille albums illustrés ou livres retraçant les histoires mythologiques des temps ancestraux. Liv a grandi avec ces légendes qui, pour Kyrre, sont réelles. Alors quand commence ce fameux été où de jeunes garçons vont être retrouvés noyés dans un lac calme, sans raison ni motif apparent, Liv verra les événements se dénouer, et les interrogera de son regard calme, lointain mais perçant.

Je ne sais qui, de la mère, de la fille, du voisin ou de La Huldra détient le rôle central dans ce roman. Mais de toute évidence le mystère qui nous captive ne saurait s'exprimer sans la présence voilée, énigmatique, de cette créature singulière. Une simili sirène de ces terres du nord norvégien, La Huldra cache, sous une apparence sublimée de jeune femme désirable, la plus effroyable des créatures. Est-ce elle, déguisée sous les traits de Maïa - adolescente qui a abandonné les études et que Liv abhorre - qui serait à l'origine de ces noyades incompréhensibles ?
Le mystère, bien entendu, restera entier jusque la dernière page, et au-delà !

L'étrange est tissé entre les lignes du roman. Mais une réalité tangible est infailliblement développée. Cette femme peintre, renommée, reconnue, sublime artiste, qu'est-elle venue faire sur ces terres reculées. Quelle est l'histoire de sa vie, de ses amours, de ses déceptions et échecs. Car à la voir vivre, d'un parfait maintien, d'une force absolue, d'une cohérence sans faille, nous sommes face à un autre mystère. Une beauté intransigeante qui sait voir, et rendre sur la toile cet indicible qu'elle déchiffre. Sa fille, Liv, tient d'elle, mais ne sait en faire une force pour le moment. Elle observe. Et le lecteur sera fasciné par l'étendue de son regard. Sans oublier qu'elle surveille ou guette ou étudie les vacanciers qui chaque année louent une petite maison située un peu plus bas. Et le nouveau venu de cette année vraisemblablement a quelque chose à cacher ..

Encore une fois j'ai adoré lire John Burnside. Ses romans peuvent être bien différents les uns des autres mais je reste fascinée - très éprise - par ses personnages. Une telle grandeur, une intelligence si fine, désintéressée, hors du commun habite les hommes et les femmes de son univers, que j'en suis toujours égayée. Sans oublier que la relation qui scelle l'amitié ou l'amour entre ces personnages en question, est sublime. Sans manifestation fortuite, le respect et la compréhension silencieuse qui fondent et font perdurer la relation mère-fille dans ce roman sont à leur manière légendaires.
Voilà bien des raisons pour se fondre dans L'été des noyés, et tous les autres écrits - prose ou poésie - de l'auteur écossais.

L'ÉTÉ DES NOYÉS
John Burnside
Traduit de l'anglais (Écosse) par Catherine Richard

éd. Métailié 2014 (v.o. 2012)
disponible désormais dans la collection Suites (poche) de Métailié

Les illustrations présentées dans l'article sont :
- Les îles Lofoten,
- Photographie de Philippe Sainte Laudy.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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