Le paquebot immobile, de Philippe Curval

L'humanité réinventée

Dans le cadre de notre Book Club thématique Les Îles j'ai souhaité lire et recommander ce livre. Nous sommes bien sur une île ici, située dans le Pacifique, mais elle constitue le septième continent ! Dans un futur indéfini un groupe d'hommes libertaires, ingénieurs et ingénieux, ont eu l'idée et l'inventivité de recycler les masses infinies de déchets voguant dans les mers pour en faire le sol d'une terre habitable. Cette utopie est-elle viable, sera-t-elle pérenne ? Nous pourrons répondre à la question après lecture du Paquebot immobile de Philippe Curval. Roman haletant, intelligent, lucide et doté d'un imaginaire remarquable, il n'en éclaire pas moins le génie et la folie de l'Homme.

Le roman s'ouvre sur ce moment de l'Histoire où l'île des Paquiens existe depuis plusieurs décennies déjà. Le reste du monde va bien mal, c'est à dire que notre monde, tel que nous le connaissons aujourd'hui, n'a fait que s'acharner et s'embourber dans ses multiples incohérences et méfaits. Les fondateurs du Pâques Boat, désormais nommé Le Paquebot Immobile, ont réussi à donner vie à un projet très utopiste, en s'inspirant du roman de Jules Verne, L'île à hélice et en prenant en compte les principes développés dans L'unique et sa propriété de Max Stirner.
Ils ont su mettre sur pied et employer mille nouvelles technologies et inventions pour vivre de manière totalement autonome, et très évoluée sur leur septième continent. Leur projet a été financé par leurs brevets fabuleux, vendus aux nations des vieux continents. Or les Paquiens se trouvent à un stade délicat de leur histoire. Le père du projet, un certain Robur est décédé. Pairubus, son successeur autoproclamé, et invité au Conseil à l'origine par le sage Robur, se transforme en dictateur. Pour couronner le tout, les Paquiennes et Paquiens, sont désormais divisés et donc potentiellement gouvernables par cette tyrannie naissante.

Les fondateurs de l'île, ce premier cercle qui avait accompagné Robur dans son idée extraordinaire, s'organisent dès lors pour renverser Pairubus et donner une deuxième vie à leur utopie. Très vite l'île se scindera en deux et nous suivrons l'aventure des deux côtés, chez les Naufragés, et chez les Autonomes, en espérant qu'un avenir commun et libertaire puisse s'ensuivre.
Je n'oublie pas de vous parler de Véra. Cette jeune femme est la dernière arrivante sur l'île. Un mystère règne autour d'elle : pourquoi l'a-t-on laissée entrer dans cette zone protégée et inaccessible qu'est le Paquebot ? Elle semble avoir un don, précieux, dont veut user le nouveau tyran. Gaon, dans le rang des fondateurs, fidèle aux préceptes historiques du projet, est amoureux d'elle et tente de la protéger. Le récit est porté par un fil directeur dont Véra sera l'aimant malgré elle.

Mais j'en arrive maintenant au décor et aux divers profils qui peuplent ce monde ..
Les humains sont là, bien entendu. La technologie est omniprésente, notamment sous la forme d'autres êtres vivants, artificiellement conçus : les gonzos et les cubanas de la première génération, puis les QAI de la nouvelle génération d'êtres technologiquement reconstitués. Sans oublier les agéems, des créatures génétiquement modifiées et qui ne sont autre que les croisements d'animaux bien connus de nous. Ainsi il est tout à fait naturel de croiser un renard à queue de paon ou un cochon-fouine !
Et puisque je parlais de décor, permettez-moi de vous dire que l'architecture des villes qui composent le septième continent est simplement sublime. Reconstitution de villes qui étaient chers aux fondateurs, telle Valparaiso, tous les arts se sont alliés pour former rues, places, bâtiments et monuments de grande beauté.  La créativité humaine, dans son meilleur, a été adoptée pour s'instaurer dans d'autres dimensions, avec des prouesses soutenues par les nouvelles inventions des Paquiens. 
Eh oui, ce roman tient ses promesses en nous offrant une image de l'utopie menée à bien où l'Homme sait tirer profit de sa puissance cérébrale sans s'y perdre. La technologie n'est pas la chose à craindre, tant que l'Homme ne retombe pas dans ses travers. Or, après à peine quelques décennies de ces grandes avancées et paris tenus, la population du septième continent semble retomber dans l'éternelle solution de facilité : se faire mouton et se laisser diriger par un chef - en l'occurrence mentalement perturbé.

Comment vous en dire plus, chers lecteurs, en quelques paragraphes ?! Le livre est riche. Il est construit, réfléchi, ample et vif. Le suspens ne nous lâche pas une seule seconde. Nous nous attachons aux personnages et les aimons en découvrant leur passé, leurs choix, leur détermination. Par effet miroir, on porte sa propre réflexion sur les thèmes philosophiques, sociologiques, démographiques ou spirituels entrelacés dans l'histoire portée avec force précisions et une structure solide. La fin ne m'a pas tant étonnée. Simplement, moi qui aurais tendance à toujours imaginer comme un livre serait plus exquis s'il avait été élagué, ici, j'aurais voulu une centaine de pages supplémentaires avec plus de détails sur tel aspect, plus de développement sur tel phénomène !

Vous l'aurez bien compris, je ne peux que vous recommander ce roman, et espérer que nous pourrons nous retrouver ensuite pour en parler, explorer, poursuivre, les mille idées qui s'y trouvent. Quant à la thématique des îles, Le Paquebot immobile en creuse les multiples secrets à merveille.

LE PAQUEBOT IMMOBILE
Philippe Curval

éd. La Volte 2020

Les images accompagnant l'article présentent les œuvres de :
- Chris Jordan,
- Jean-Luc Cornec.
La photographie mettant en scène la couverture du livre en tête de l'article est de ©murielarie pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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