Paroi de glace, de Yasushi Inoué

Le fin mot de l'histoire ?

Je suis une grande lectrice de Yasushi Inoué, écrivain japonais renommé, décédé en 1991. Il a tant écrit, reçu tant de distinctions ; et tous ses livres sont sublimes. Pas un ne ressemble à celui d'avant ou d'après, mais toujours on retrouve l'âme du Japon, ou d'un lieu, d'une époque, d'un personnage, d'un contexte particulier. En réalité c'est l'âme humaine qu'il a su si bien explorer et donner à entrevoir dans ses romans. Qu'il parle de Confucius, d'un maître de thé dans le Japon du XVIIème siècle ou d'un jeune homme fou d'escalade, c'est un monde de pensée et de comportement qu'il croque, à merveille. Ici la question posée serait, peut-être, qu'est-ce que l'amour ou qu'est-ce que la passion, ou encore, comment être digne. Le livre terminé on se laisse hanter longtemps par l'histoire qui nous aura traversée... Oui, encore une fois j'ai aimé lire cet auteur !

Le roman s'ouvre sur le retour à la ville d'un homme, après sa randonnée et escalade en montagne. Il va à la rencontre d'un ami compagnon d'alpinisme. Ils doivent préparer leur prochaine sortie. Or, malgré lui, il va se trouver mêlé à l'histoire d'amour malheureuse de son ami. Cet homme est éperdument amoureux d'une femme mariée qui ne cherche qu'à se débarrasser de l'amant d'une nuit. Uozu, cherchera à remettre son ami alpiniste, Kosaka, dans le droit chemin, mais lui-même semble succomber sous le charme de cette femme étrange.
Les choses se compliquent pour Uozu lorsque Kosaka fait une mauvaise chute durant leur sortie en montagne. Et il lui faudra passer par bien des phases douloureuses pour prouver que son ami ne s'est pas suicidé, que lui-même n'a pas coupé la corde qui retenait son compagnon de cordée... Il se rapprochera de la famille de Kosaka, de sa mère, et de sa sœur. Mais la tragédie guette. Et Uozu, contre vents et marées, tentera de faire preuve de droiture. Épousera-t-il la sœur de Kosaka ? Perdra-t-il la face vis-à-vis de ses collègues à cause de cette histoire de corde tranchée... Personne ne sera à l'abri des tourments et le lecteur sera touché par cette pureté raffinée qui se dégagera de l'ensemble.

Si vous aimez la montagne vous serez émerveillés car bien des scènes se passent là-haut, par temps de grand froid, de neige, de tempête et de parois recouvertes de glace. Si vous aimez les dialogues d'alpinistes, qui sont des hommes et femmes de peu de mots, vous serez charmés. Et puis vous découvrirez une société japonaise, des années cinquante, et en serez troublés. Les personnages sont exquis, brossés avec précision, perçus avec nuances, mais toujours fondus dans leurs contextes respectifs. D'une certaine manière, tous les personnages ont le premier rôle, quand bien même ils apparaîtraient peu dans le roman. Pour ma part j'ai été séduite par un drôle de bonhomme qui est le supérieur hiérarchique de Uozu. L'entreprise japonaise est épinglée avec justesse, et cet homme sort du lot. Il paraît rustre, il est délicat ; il paraît insensible, il est doux...

Mais bien-sûr la vraie histoire est ailleurs. Et c'est une histoire d'amour, une question de haute importance qui inclut l'amour-propre, le déshonneur, la reconnaissance de soi-même en toute situation. Un homme de montagne ne met pas fin à ses jours, mais il se mesure au destin. Il défie le temps et les limites du corps. Car la force de l'esprit le porte... Jusqu'où ?!
Ainsi les triangles amoureux n'ont de cesse de nous surprendre. Chacun peut se méprendre sur les intentions de l'autre. Mais dans certains cas on lit en l'autre comme dans un livre ouvert. Et c'est là que la particularité de l'âme japonaise s'écrit dans ce roman. Ces hommes et ces femmes taisent certains mots ; leurs pensées et leurs expressions ne peuvent être formulées. Alors intervient ce savoir-lire le cœur de l'autre. Je ne peux vous révéler la fin de l'histoire mais elle m'a éberluée. Quelques mots, une réaction et une image sont offertes au lecteur. Cela s'inscrit en nous pour y demeurer longtemps. Et l'art de Yasushi Inoué réside en ce qu'aucun de ses personnages ne sera méprisable. Il sera humain, frappé par le sort, et se transformera d'une manière ou d'une autre. Bien entendu personne ne sort indemne des aventures écrites de la main de l'auteur. La vie serait bien trop simple, et l'histoire narrée dépourvue d'intérêt ! Mais attention, nous avons bien affaire à un roman, où l'on tourne les pages à grande vitesse, où l'on suit les aventures, les dialogues, les rencontres. Et la dernière page se tournera en nous livrant à nous-même, autres...

Je vous le disais plus avant dans cet article, le monde de l'entreprise est très présent dans ce livre. Car le concepteur de la corde d'escalade, ainsi que son fabricant devront prouver que techniquement la corde était à la hauteur de la situation. Des tests et simulations seront entrepris. Les hommes d'affaires se concerteront. Chacun mènera sa tâche et ne faillira pas. Ni un homme, ni une entreprise ne peuvent perdre la face ! Et la vie de l'entreprise, très souvent, peut prendre le dessus sur la vie de l'homme. Qui peut comprendre un Uozu qui ne cesse de s'endetter auprès de son entreprise pour financer ses projet d'escalade ? La passion qui anime un homme, où trouve-t-elle sa justification. Bien des questions apparaissent dans ma chronique. Ce n'est pas le rôle d'un livre d'y répondre mais simplement de nous plonger dans la lecture de situations extrêmes. Et nous, lecteurs, pouvons nous rapprocher de nous-mêmes en tentant d'approcher une vérité personnelle.

PAROI DE GLACE
Yasushi Inoué

Traduit du japonais par Corinne Atlan 
éditions Stock 1998 (v.o. 1957)

Les illustrations présentées sont les oeuvres de :
- Gao Rui Ming
- Chen Chun Zhong.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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