Signor Hoffman, d’Eduardo Halfon

Quel est ton nom ?

J'ai lu ce recueil de nouvelles, Signor Hoffman, et j'ai rencontré un écrivain, admirable, remarquable. Les six récits qui composent le livre peuvent être lus séparément, mais si l'on veut bien les lire tranquillement dans leur ensemble, et dans l'ordre proposé, on appréciera un tout ciselé et harmonieux. C'est en cela que je suis restée bouche bée. Rarement je n'avais lu un texte aussi cohérent, où chaque élément, à mille lieux de son voisin, s'imbriquait dans la grande mosaïque que forme Signor Hoffman. Qui est-il ? Un homme, deux personnages, mille êtres, mille histoires d'hier et d'aujourd'hui ..

Le personnage principal, qui est également le narrateur, se déplace dans différentes villes, de différents pays et continents. Parfois pour un séminaire, ou pour une inauguration ; ce peut être aussi pour raison personnelle lorsqu'il souhaite se documenter sur un vécu perdu au fil de l'Histoire. Il est écrivain. Longtemps, le lecteur ne saura pas si ce narrateur est l'écrivain Halfon, ou simplement cet autre homme, le dénommé signor Hoffman. Puis, petit à petit, les choses s'éclaircissent, avec détail et profondeur, sur le sens de ces errances qui ne sont nullement fortuites, point désorganisées. Souvent, plongé dans la lecture du chapitre, de la nouvelle en question, on oublie qu'il existe un récit cadre car alors on est plongé dans l'atmosphère du lieu parcouru. Tel un court métrage ou un film d'auteur, l'histoire nous entraîne à sa suite dans un village perdu ou au coeur d'une ville. Et ce sont les hommes et les femmes qui peuplent cette place, qui l'habitent, qui nous fascineront, avant que l'on ait le temps de réaliser que nous sommes entrés dans leur souffle, que notre respiration s'est calée sur la leur.

Eh oui, nous parcourrons villes et villages au côté de notre Hoffman-Halfon. Mais nous naviguons aussi, constamment, entre un passé et un présent. Le passé est personnel, il est historique. Il est individuel, il est collectif. Et le présent, lui, est flou, incertain, vulnérable .. surtout très humain. Le présent porte aussi, de temps à autre une victoire, immense, sur le passé. Les souffrances, les douleurs, les injustices, la sueur accumulée des efforts incessants, ne sont jamais dites : elles sont portées tel un vêtement, avec dignité, force fierté.

Je vous disais au début de cet article que j'avais été impressionnée par le sens du détail dans ce livre. Pas un mot, ni image, ni objet ne se trouve là par hasard. Et le sens que renferme toute chose se révèle au fil du temps, et de notre lecture. Une pierre noire, lisse, sans âge, apparaît dans plusieurs nouvelles. Dès sa première entrée elle nous frappe. Puis nous apprenons à la comprendre, tout du moins à déchiffrer son importance pour le narrateur. Et c'est au détour d'un village du Belize qu'elle hurlera son désespoir, pour plus tard, dans une ville polonaise, à Lodz, crier sa vérité silencieuse. Et l'on entendra sa parole avec clarté parce qu'on a été porté au plus près d'êtres humains qui ont une histoire complexe. Tous ces êtres humains semblent avoir une vie ordinaire, ne dénotent pas dans le paysage, jusqu'au moment où l'on s'approche un peu. Et c'est précisément cela que fait le narrateur. Il nous parachute au centre de rencontres, chacune hors du commun. Ma nouvelle préférée restera celle qui paraît sans histoire, sans nom, sans événement tangible, qui porte le titre Survivre au dimanche. Le narrateur marche dans la rue, on est dimanche, il cherche une adresse où il souhaite se rendre. Une femme le repère, l'interpelle, fait chemin avec lui et l'emmène dans cet appartement où se produit tous les dimanches une pianiste. Je n'oublierai jamais cette femme, cette promenade à son côté, son au revoir discret depuis l'ascenseur. Cette femme a décrypté l'interrogation du narrateur, sa quête dominicale, en le regardant se mouvoir, marcher, sous la pluie !

Signor Hoffman est un recueil de nouvelles savoureux. L'écriture est un délice. Le lourd-léger contenu dans chaque histoire est parfaitement dosé. Et pour tous ceux qui sont des éternels voyageurs dans l'âme, le livre d'Eduardo Halfon présentera de belles retrouvailles avec Soi, tissé d'un fil de soie invisible. Comme le dit le personnage principal,

« (...) J'ai répondu par un sourire, j'ai dit peut-être, en effet, et j'ai fini mon verre de vin rouge en silence, en songeant qu'un nom, n'importe lequel, est tellement transcendant, tellement capricieux, tellement irréel, que nous finissons tous par devenir notre propre fiction. »

Notez que Cançion, le dernier roman d'Eduardo Halfon est paru dans sa traduction française en janvier 2021 chez les éditions La Table Ronde. Il vous sera présenté en détail, très prochainement, sur ces pages.

SIGNOR HOFFMAN
Eduardo Halfon
Traduit de l'espagnol (Guatemala) par Albert Bensoussan

éd. La Table Ronde - collection Quai Voltaire, 2015

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres :
- Peinture de Han, Du périple à l'errance,
- Photographie Guatemala par Robert Slabonski.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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