Transparence de la lumière, d’Ayşegül Savaş

« Je lisais énormément sur la perception médiévale de la peau. Étant donné les méthodes de chirurgie rudimentaires au Moyen Âge, les couches internes du corps étaient encore voilées de mystère. La peau elle-même était perçue comme une couverture, étendu afin de cacher une vie intérieure secrète. Et que signifiait cette fine couverture, me demandais-je, au-delà de sa capacité à dissimuler ? »

Imaginez un roman qui dessinerait en beauté les jeux de lumière et d'ombre. Je ne vous parle pas de peinture de paysages, mais plutôt de cette chose indicible qu'est l'âme humaine. Pour ce faire, quel meilleur contexte que le monde de l'Art , dans le domaine de la peinture abstraite d'un côté, et de l'autre, celui du nu dans la sculpture médiévale ? Bienvenue dans l'univers de Transparence de la lumière. Rencontre ou confrontation, de deux femmes - l'une au mitan de sa vie, l'autre au commencement de sa carrière professionnelle, dans la dernière phase de son parcours universitaire - ce roman plein de délicatesse et de profondeur se compose d'un brassé de dissimulations et de dévêtus... et des mystères qui se dévoilent progressivement.
Une jeune femme travaille sa thèse de doctorat, qui porte sur le nu dans les sculptures médiévales. Un illustre professeur d'études médiévales propose de lui louer pour une somme dérisoire son luxueux appartement en ville. Peu de temps après s'y être installée elle devra accepter la présence, annoncée comme très ponctuelle, de l'épouse du grand professeur. Cette femme est peintre. Va-t-elle devenir le mentor de notre étudiante, son modèle à suivre ? Je ne ferai ici aucune révélation sur la suite de l'histoire si ce n'est que l'artiste peintre traverse une période de doute, dégage une certaine dose d'instabilité empreinte de noirceur.
Jeu de miroirs où l'on se réfléchit en l'autre, où chacune tente - ou évite - de se montrer à nu .. le roman instaure un jeu de pistes et jusque dans les dernières pages le lecteur ne saura deviner le dénouement réservé à ce duo intrigant, ni à la portée psychologique de leur cohabitation forcée.

L'écriture d'Ayşegül Savaş m'a ensorcelée. Elle est posée dans l'intériorité et le doucettement vertigineux. J'ai retrouvé la puissance d'évocation et l'écriture envoûtante de la grande autrice canadienne Claire Messud dans chacun des plis de Transparence de la lumière : cette même intelligence, parsemée sous le voile de l'histoire, et bien-sûr, la quête de la chose masquée, non dite mais essentielle, qui nous frappera en fin de récit.

Il réside une part d'ombre dans chaque vie, chaque destin. Le roman s'intéresse à la création d'une identité, et interroge la tendance humaine de draper son vis-à-vis de sa propre part masquée, remède inégalable pour ne pas se faire face. On façonne dès lors son identité en faisant place aux masques et zones d'ombres. La notion d'une nudité psychologique se révèle ainsi essentielle et se compose à merveille dans le roman avec l'étude des Beaux-Arts.
Je n'oublie pas non plus mon immense plaisir de lecture de tous ces passages où l'étudiante travaille sa thèse, mène ses recherches, visite les monuments où elle s'évertue à déchiffrer le sens du nu dans la sculpture médiévale. Les analyses de l'artiste plasticienne rapportée à son œuvre, et plus généralement à l'art pictural versus l'art abstrait m'ont happée. Je n'ai compris que plus tard que j'avais été fascinée par ce roman pour la grande intimité de soi (le yin ou le féminin dira-t-on) dépeinte avec grâce par l'écrivaine Ayşegül Savaş. Transparence de la lumière est assurément une très belle découverte de cette rentrée littéraire 2023, dans une traduction française merveilleuse.

Je vous invite à écouter l'autrice présenter son roman. Le souffle de son écriture transparaît dans ses phrases, m'a-t-il semblé. Cliquez sur ce lien pour accéder à la vidéo.

TRANSPARENCE DE LA LUMIÉRE
(White on White)
Ayşegül Savaş
Traduit de l'anglais par Ana Samaka

éd. Bouquins 2023 (v.o. 2021)

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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