Un long voyage, de Claire Duvivier

Cofondatrice des éditions Asphalte, Claire Duvivier nous offre un premier roman tout en finesse et en émotions. Petit bijou de Low Fantasy (sous-genre de la Fantasy où le monde réel, rationnel et familier, peut être perturbé par une apparition magique) qui a beaucoup fait parler de lui, Un long voyage est à mettre dans toutes les mains. Que vous soyez fan de fantasy ou, au contraire, généralement hermétique au genre, ce récit d’une vie hors du commun saura vous conquérir et vous passionner. Car les pérégrinations du personnage principal, Liesse, constituent un voyage avant tout intime et personnel.

« C'est ainsi que je fis la connaissance de Danica Saditti, à laquelle je ne m'attachais pas bêtement sur-le-champ; j'eus la décence d'attendre le lendemain, alors qu'elle me faisait visiter la Redoute rouge, dont elle était l'intendante depuis peu. »

Liesse est le narrateur de notre aventure. Troisième fils d’une fratrie de quatre enfants, il est vendu par sa mère à la mort de son père. Dans l’impossibilité de s’occuper seule de ses enfants, la décision lui est imposée de se séparer de l’un d’eux. « Le choix se porta sur moi, sans que je me rappelle pourquoi », écrit-il. Pour rembourser le bateau que l’imprudence de son père a entraîné par le fond, les autres familles du peuplement recommandent à la mère de céder son enfant au comptoir impérial de Tanitamo, capital de l’archipel de Tan-henua. D’abord terriblement réticents - l’Empire se refusant depuis peu à signer des contrats de servitude - deux impériaux finissent par accepter d’acheter cet enfant frappé de « tabou » et désormais indésirable dans sa communauté.

À travers le texte qu’il écrit pour une certaine Gémétous, nous découvrons que Liesse devient le secrétaire, puis l’ami, de Malvine Zélina de Félarasie, nouvelle ambassadrice impériale dans l’archipel. De par ses rencontres et le voyage qu’il fera avec cette politicienne promise à un grand avenir, notre narrateur dresse au fil des époques de sa vie le portrait d’un monde qui s’effrite. Le petit garçon ne sera jamais un héros de l’Empire, ou un politicien de génie.

Déraciné, scribe qui écrit terriblement mal, amoureux transi en cruel manque d’affection, confident d’une femme de pouvoir, puis père de famille dévoué corps et âme à ses enfants, ce personnage est terriblement attachant. Liesse devient la personnification de tous les citoyens, des petites histoires qui subissent la grande, de ceux pour qui les plus grands malheurs finissent toujours par passer, pour faire place à un rayon de soleil.

Pour les impériaux, Liesse reste un habitant des îles. Pour ses anciens amis, c’est un sujet de l’Empire. Liesse est un éternel apatride, jamais il ne se sent à sa place. J'ai été touchée de voir à quel point il incarnait le proverbe « la maison est là où est le cœur ». Son port d’attache, son foyer, il le trouvera auprès de Merle Pyrart, l’homme qui l’a pris sous son aile, et de Malvine, qui lui donnera sa chance comme secrétaire et l’emmènera dans ses bagages lors de sa mutation. Et enfin, et surtout, auprès de sa femme et de ses enfants.

« Si le grandiose t’intéresse tant, Gémétous, prends la peine de te pencher également sur le trivial; rappelle-toi que ce n’est pas à l’ombre des légendes qu’on trouve le bonheur, mais auprès de la chair et du sang. Personne ne le sait mieux que nous deux. »

Ce biographe d’un nouveau genre nous parle de lui, de sa vie, et ainsi de tout un monde en perpétuel mouvement. En voulant conter l’histoire de Malvine Zélina de Félarasie, sa propre existence semble passer au second plan. Il est à la fois tous ces dépeuplés, ces témoins de première ligne, ces gens du peuple. Émus, nous voyons défiler sa vie au rythme de la déliquescence de l’Empire.

Sous sa très belle plume, Claire Duvivier crée un univers qui ne demande qu’à être davantage dévoilé. Un long voyage est un récit plein de sensibilité. Sous l'éclairage d'un évènement fantastique qui se produit dans les dernières pages, et dont je ne dirai rien ici, le roman offre une main tendue vers le passé, afin de nous réconcilier avec lui et de mieux appréhender l'avenir

UN LONG VOYAGE
Claire Duvivier
éd. Aux Forges de Vulcain, 2020
couverture : Elena Vieillard

Les illustrations présentées dans l'article sont (dans leur ordre d'apparition) :
- Eugène FLANDIN (1809, Naples – 1889, Tours) Constantinople : l’échelle de Bechik-Tach sur le Bosphore
- La rade d'Antibes par Joseph Vernet, 1756
- Le dernier voyage du Téméraire. William Turner, 1838

Cet article a été conçu et rédigé par Amalia Luciani

Historienne de formation elle est enseignante, photographe et nouvelliste. Elle a été journaliste en freelance.
Responsable de la rubrique Littérature de l'Imaginaire, elle gère le compte et les communications Instagram. Elle est également l'experte polar de Kimamori.

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