Conversations silencieuses, d’Olivier Schefer

Rencontrer une œuvre d'art ?

Ah! comme j'ai aimé ce livre.. pour sa sensibilité, pour sa singularité. L'auteur, Oliver Schefer, est écrivain et philosophe. Il enseigne l'esthétique et la philosophie de l'art à l'université. Vous imaginez que cet homme, dans son métier d'enseignant sait parler d'art. Et pourtant il nous raconte ici, dans ce bref essai, comme il est impossible de dire l'art. Une œuvre ne peut être qu'accueillie, embrassée, avec l'émotion qui va de pair avec elle ! Le jour où une rencontre s'établit, elle offre mille variations de conversations silencieuses. Cette idée vous interpelle ? Elle vous charme ? La lecture de Conversations silencieuses ne pourra que vous transporter, comme ce fut le cas pour moi.

«  Chaque fois qu'il ouvrait la porte, mon père arborait la même expression. Il avait ce léger sourire, un imperceptible plissement de la lèvre droite, qui indiquait son plaisir à me revoir, aussitôt suivi d'un petit hochement de tête, qui signifiait qu'on était bien le deuxième mercredi du mois. Puis il s'effaçait légèrement pour me laisser entrer dans un long couloir au parquet  grinçant. »

Le livre commence par ces quelques lignes. Et l'on va plonger dans l'enfance, les jeunes années du narrateur et auteur. Il nous invite dans l'intimité et la douceur de ces mercredis qu'il a passés avec son père. Ses parents venaient de se séparer. Et il se rendait chez son père le jour fixé. Parfois ils sont chacun dans sa pièce : lui dans sa chambre, le père dans son bureau. Mais ils sont ensemble. Ils savourent la compagnie, la présence, l'un de l'autre. Et parce qu'ils sont proches, et que leurs âmes et leurs esprits communiquent, des conversations silencieuses ont cours entre eux, sans même qu'ils aient besoin d'être dans la même pièce. Nous connaissons cela, ces relations intimes vécues parfois avec un parent, avec un ami. Eh bien, tout au long du récit, Olivier Schefer va explorer le phénomène, le mettre en lumière. Et cela lui permettra d'esquisser lentement, tranquillement, avec subtilité et finesse, le dialogue qui peut s'établir, parfois, entre un humain et une œuvre d'art. L'expérience pourra alors entrer dans le registre des conversations silencieuses..

Le récit fait des sauts dans le temps, allie des vécus personnels et des mots érudits qui disent l'Art. Le livre fourmille de citations littéraires, de références à l'art. Promenade littéraire, érudition incontestable, et regards sur le marché de l'art actuel s'entrelacent. Jamais d'affirmations grandiloquentes, non, l'auteur préfère narrer une anecdote. Ce jour-là, à cet instant précis, enveloppé d'un contexte émotionnel précis, il s'est trouvé face au Pierrot naïf d'Antoine Watteau. Et subitement un monde s'est ouvert à lui, qu'il connaissait bien, mais qu'il n'avait encore jamais rencontré.

L'essai d'Olivier Schefer se présente lui-même au lecteur telle une rencontre. Je faisais une pause café, assise sur le canapé, et parmi les livres que j'avais entassés sur la table basse, j'ai attrapé celui-ci. J'avais l'intention d'y jeter un œil, de parcourir en diagonale quelque page, afin de décider quand je me lancerais dans sa lecture. Mais voilà, j'ai lu la première page et je me suis enfoncée dans mon canapé. J'ai lu et lu, en poussant des soupirs parfois, en m'exclamant, ou en m'arrêtant pour méditer une phrase, une idée. J'étais bien en compagnie du livre. On avait des choses à se dire. Car bien entendu, je n'avais pas le sentiment de lire un essai. Je le lirai plus tard, me disais-je, parce que, là, j'étais en train d'avoir une conversation silencieuse avec une chose riche, nuancée, douce.
Les vrais savants sont ceux qui n'en ont pas l'air, ai-je appris enfant de mon grand-père. Ce texte est savoureux, et bienveillant tel un ami. Il contient de la connaissance, du caractère, de la présence d'esprit et de l'ouverture à la vie. Mais l'auteur nous raconte comme par moments il est démuni lors de congrès et séminaires où il est invité. On accuse le marché de l'art, on s'offusque contre l'art abstrait, et on le somme d'expliquer. Mais il n'a rien à dire, rien à répondre aux accusations. Tentez de vivre l'art par vous-même, par vos émotions, au cœur de votre vie intérieure, et vous verrez par vous-même le jour venu. N'est-ce pas cela qu'il avait envie de répondre. D'où Conversations silencieuses !

Depuis ma rencontre avec ce texte, j'y suis revenue bien souvent. En esprit, ou en quête d'une phrase lue. Je suis heureuse qu'il soit là dans ma bibliothèque. Parce que je vais le relire, tout en sachant que j'y trouverais d'autres trésors que ceux récoltés à la première lecture. Un livre est un ami proche, avec lequel on grandit, on le sait bien !

CONVERSATIONS SILENCIEUSES
Olivier Schefer
éd. Arléa - Collection La rencontre, 2019
Sélection Prix Jacques Lacarrière 2020

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Peinture d'Antoine Watteau (Pierrot),
- Photographie de © murielarie pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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