L’ami japonais, de Marc Petitjean

Le Japon, si proche de nous ?

Parfois il faut dire les choses simplement, sans détours. Alors voici : tout ce que j'aime se trouve dans ce livre. L'art, le Japon, les liens qui se tissent entre êtres humains si différents et pourtant semblables dans leur élan de vie, et l'alliance entre tradition et modernité. Marc Petitjean, documentariste et dépositaire d'une part si vaste de l'histoire des arts et des artistes, nous permet d'approcher ici l'œuvre d'une vie : celle de Kunihiko Moriguchi, maître de la peinture sur kimono. Passionnant et souvent surprenant, L'ami japonais nous offre un voyage riche de découvertes. Un petit bijou à garder chez soi.

Le livre s'ouvre sur l'arrivée de Marc Petitjean au Japon. Il a été mis en contact avec Maître Moriguchi par l'intermédiaire d'un ami commun. Il va le rencontrer pour la première fois. Ce jour-là ils se quittent en envisageant de se revoir un jour lendemain, dans l'idée de travailler sur un film documentaire autour de la peinture yuzen et du parcours du maître japonais. Quatre ans plus tard, l'auteur et documentariste se rend chez Kunihiko Moriguchi pour le tournage du documentaire.  Et voyez-vous, dans ces premières pages, l'auteur nous introduit l'esprit d'un monde, le Japon, tel que le ferait un japonais. Avec modestie, avec humilité, il nous dit ne rien connaître de cet univers. Progressivement il va nous présenter un art singulier, le parcours d'un homme, et le tout s'apparente à la marche d'un funambule qui s'est toujours maintenu sur son fil, entre deux mondes : celui de la tradition et celui de la modernité, les incarnant tous deux en beauté, les faisant vivre et grandir chaque jour.

« Moriguchi m'a alors parlé de la culture japonaise, de sa conception de l'art, entrouvrant une porte sur une société que je connaissais peu, puisque je l'avais découverte à travers le prisme très particulier des bombes atomiques. Au moment de prendre congé, quelque chose m'a arrêté. J'ai ressenti ce sentiment mystérieux qui naît de toutes les vraies rencontres.

Je lui ai dit, comme on jette une bouteille à la mer, que j'aimerais bien, un jour, si l'occasion s'en présentait, réaliser un film sur lui et ses kimonos. L'idée lui a plu. Elle aurait pu aussi bien se dissiper comme neige au soleil. »

Dès le deuxième chapitre nous sommes donc au Japon, et suivons Marc Petitjean dans les phases du tournage de ce documentaire, et de sa rencontre avec le Japon, organisée par Kunihiko Moriguchi.
Le récit est construit par fragments délicieusement entrelacés. Nous revenons loin dans le passé pour connaître la vie de Kunihiko, depuis son jeune âge. Nous le verrons évoluer en France durant ses études d'Art-Déco, puis vivre auprès de Balthus qui sera un grand ami et guide spirituel.
En remontant le fil de l'histoire de la vie d'un homme nous sommes mis au contact d'un siècle d'art, en Europe et au Japon. Nous serons plongés dans les choix de vie qui auront été les siens, dans ses relations avec son père, Kako Moriguchi, maître dans l'art de peinture de kimono avant lui, et apprendrons à apprécier la modernité qu'il a su engager dans cette voie traditionnelle. Artisan ou artiste, faisant perdurer un savoir-faire familial ou faisant de la création inédite, Kuni, comme finira par s'autoriser à l'appeler affectueusement l'auteur, mène son chemin.

Le parcours de vie relaté est si simple à suivre, si difficile à comprendre, et toujours si admirable. Car Kunihiko Moriguchi qui aurait pu être un grand artiste oeuvrant en France, reconnu par ses pairs européens, est rentré dans son pays. Les carcans qu'il rejetait, il les a fait siens. Il a vécu une vie durant, avec son épouse, dans la maison familiale où se trouve l'atelier de confection de kimonos, et où vivent avec eux les disciples...
Mais il est exposé dans le monde entier. Et il est aujourd'hui Trésor national au Japon. Haute consécration inégalable mais qui peut peser lourd sur les épaules. L'extraordinaire étant que son père, avant lui, avait été Trésor national. Et c'est chose rare qu'un fils sache faire du neuf, se faire connaître par lui-même, et être reconnu en tant que garant des traditions ancestrales !

Mais revenons un instant à mon voyage personnel, procuré par L'ami japonais de Marc Petitjean, que j'évoquais au début de cet article. Le livre a un joli format, celui de la collection La rencontre chez l'éditeur Arléa. Il n'est pas très épais. Mais c'est un tapis volant fantastique ! Des images accompagnent le texte, qu'il s'agisse de Kunihiko à différents moments de sa vie, ou de son œuvre, de celle de son père. Regardez celle-ci : il vient de passer plusieurs mois en Italie chez Balthus à la Villa Médicis, et une jeune japonaise apparaît sur l'image. C'est Setsuko, l'épouse de Balthus, la compagne qui aura été à ses côtés jusque dans ses dernières heures. J'ai passé des heures à me plonger dans l'œuvre et la vie de Balthus, tout comme j'ai passé des œuvres à parcourir d'autres thématiques, d'autres personnages rencontrés dans le livre. Je me suis littéralement envolée dans les pages où l'auteur nous fait vivre une cérémonie de thé, sa première initiation à la culture japonaise. On côtoie les surréalistes, que maître Kunihiko Moriguchi a bien connus, tout comme on pénètre la délicatesse de la cuisine japonaise et des mets que préparent Keiko Moriguchi, son épouse. Ce récit bref englobe mille récits, mille vies et époques. Et le texte est beau, le regard de l'auteur doux et sensible.

J'ai le sentiment de vous avoir dit bien peu de choses de L'ami japonais. Je ne vous ai pas parlé non plus de Marc Petitjean, de sa vie, de son œuvre. C'est ainsi, je ne dispose pas de l'art qui est le sien ; je ne sais pas tisser une image, riche de mille détails, en quelques mots. J'aime mieux vous inviter à partir à sa découverte, par ses documentaires et par ses livres, dont Le Cœur, Frida Kahlo à Paris qui vous sera bientôt présenté dans ces pages.

L'AMI JAPONAIS
Marc Petitjean

éd. Arléa 2020
Collection La rencontre

Vous pourrez voir, sur le site officiel de Marc Petitjean, un extrait du documentaire Trésor vivant.

Les illustrations présentées dans l'article :
- Kunihiko Moriguchie, photographie de Yasuyuki Takagi,
- Kimonos de Kako Moriguchi (à gauche) et de Kunihiko Moriguchi ( à droite),
- Kunihiko et Setsuko, photographie de Jean-Philippe Lenclos, présentée dans L'ami japonais de Marc Petitjean.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

Comments

  1. Balthus créateur de jardins ?!!! Ne connaissant que ses peintures, je vais m’empresser de combler cette lacune grâce à Kimamori !

Leave a Comment