Barcelone, la vie des livres

Barcelone est une ville différente, on le sait bien. Ville portuaire, très ouverte sur l'extérieur, très cosmopolite, très touristique aussi désormais, elle n'en est pas moins d'abord et avant tout une ville rebelle, révolutionnaire, têtue peut-être ! Peu nous importe ici l'histoire politique qui a façonné cette ville hors de l'ordinaire, c'est une ville de livres que nous nous proposons de parcourir. Eh oui, vous me connaissez bien, je découvre, je ressens, je comprends et m'attache à une ville en faisant la tournée de ses librairies. À Amsterdam j'avais pu déambuler longuement dans les librairies, et vous en avais parlé. À Barcelone j'ai eu moins de temps, et puis la ville est devenue très grande, mais malgré tout j'ai pu voir et vivre, un peu, la vie barcelonaise des livres. Comme pour le reste, c'est une vie libre et vibrante, mais aussi très intelligente et perspicace. Et puis, cela faisait très longtemps qu'il ne m'était pas arrivé de déambuler dans des librairies où une majorité des livres présentés me serait totalement inconnue, où je ferais des découvertes, tomberais sur des ouvrages que je ne vois pas ailleurs, dans la librairie voisine, dans le pays voisin... Mais surtout, c'est une ville qui intègre un nouveau concept de librairies ; et c'est par là que nous allons commencer. Regardez la librairie présentée sur la photo ci-dessous. Constatez-vous quelque chose d'inhabituel ?

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Ces librairies ressemblent à priori à celles que nous connaissons, en France ou dans les autres pays. Mais tous les livres présentés et proposés à la vente sont de seconde main. "Re-Read" est une chaîne de librairies que l'on trouve dans tous les quartiers de la ville. Comme son nom l'indique, l'objet de ces enseignes est de nous donner à "Re-Lire" des livres déjà lus, par d'autres personnes. Le libraire fait son travail de sélection, d'organisation thématique et alphabétique des rayonnages. Littérature, jeunesse, sciences humaines et toutes les autres catégories sont présentes. Simplement la tarification est unique : vous achetez 1 livre pour 2€, 2 livres pour 3€, ou 5 livres pour 10€. Et ces prix s'appliquent quel que soit le livre. Certains livres sont des volumes anciens et reliés, avec des papiers légers et de qualité comme cela se faisait d'antan ; d'autres sont des livres de poche, ou des livres illustrés, jeunesse ou beaux livres. J'avoue que je me suis régalé dans ces librairies. L'enseigne que vous voyez là : "La Dolce Vita" est un autre exemple de librairie d'occasion. Nous n'avons pas affaire à des bouquinistes, mais à une ville et à un pays qui ont décidé de vivre autrement, de nous offrir de lire autrement. Et moi qui souhaitais me remettre à lire en espagnol, me voilà désormais munie d'un Don Quichotte en deux tomes, deux volumes reliés et magnifiques en sa langue d'origine. Mais j'ai également trouvé un Décameron, et Les mille et une nuits, tous deux reliés et illustrés, qui vont me nourrir en cette langue dansante que j'aime tant. Et tout comme dans une librairie de livres neufs j'ai pu demander conseil à la libraire. Je lui ai demandé de m'indiquer les écrivains catalans dont elle avait les ouvrages en castillan. Nous avons trouvé ensemble Josep Pla et Merce Rodoreda ! Car toutes les librairies à Barcelone proposent des livres en plusieurs langues : catalan et castillan, mais également en français et en anglais.

Je ne me suis pas renseignée plus avant pour le moment pour vous dire où prend son origine cette logique du livre d'occasion dans le paysage espagnol, ou tout du moins barcelonais. Serait-ce un phénomène né suite à la dernière crise économique, serait-ce une habitude culturelle ? Je parle de logique du livre d'occasion car au-delà des librairies qui ont leur enseigne dans les différents quartiers j'ai rencontré aussi des stands de vente de livres d'occasion dans le métro. Affaire à suivre, donc, et qui, j'avoue, m'a enchantée.

Mais poursuivons. Marchons dans les rues de Barcelone, et découvrons la ville par ses librairies. Vous reconnaissez l'immeuble ci-dessous, c'est la Casa Batlo de l'architecte Antoni Gaudi. Il se trouve dans la grande avenue Passeig de Gracia. En remontant l'avenue à pied on voit une autre enseigne de librairie. "Casa del libre" a deux autres adresses dans la ville. C'est dans celle-ci que je suis entrée. La littérature est organisée par pays ou région de l'écrivain, et par langue, originale ou de traduction. C'était si agréable pour moi de parcourir les rayons de la littérature hispanophone, ou catalane. Tant de noms que j'avais oubliés, que je n'avais jamais vus. Des écrivains et des titres à découvrir... quel bonheur. Mais la librairie regorgeait de bien d'autres trésors. Le calendrier lunaire 2019 qui vous indique les jours du mois où il est conseillé de cueillir vos fruits et légumes du jardin, de couper votre verveine, ou vos cheveux... n'est pas disponible encore en français, mais en catalan, il est présenté et bien visible. C'était amusant aussi de retrouver cet intérieur de librairies que j'avais l'habitude de vivre à New York ou à Amsterdam mais que l'on rencontre peu en France. J'ai apprécié. J'ai profité. Et je me suis dit qu'il était bon de rentrer dans une librairie et ne pas retrouver toujours les mêmes titres, qu'il s'agisse de publications anglo-saxones, françaises, ou d'autres pays européens.

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Mais, mes chers amis amoureux de livres, j'ai gardé le meilleur pour la fin.

Au début de cette année 2018 j'avais écouté une série d'émissions qui nous proposait des promenades littéraires à Barcelone. C'était à l'occasion de la sortie, dans la collection Bouquins de Robert Laffont, d'un volume sur Barcelone. Pierre Ducrozet, directeur de la collection et d'autres écrivains français ou catalans résidant à Barcelone nous faisaient découvrir la ville par son histoire littéraire. Dans une de ces émissions, Mathias Enard, qui vit à Barcelone, nous parlait de la place Vicenç Martorell. Dans le quartier de El Raval. "De l'autre côté" de Las Ramblas, nous disait-il, on pouvait trouver ce quartier qui était situé autrefois en deça des murailles de la ville et qui était essentiellement écclésiastique au XIXème siècle. Les anciens cloîtres étaient désormais devenues des places, comme la Placa Vicenç Martorell. Les amis écrivains de Barcelone s'y retrouvaient, et une très belle librairie y était installée, d'après les dires de Mathias Enard... Des mois durant j'ai rêvé de cette place et de cette librairie. Et le jour où j'ai su que j'allais me rendre à Barcelone, je me suis imaginé flâner dans ce lieu rêvé. La balade fut magique, la découverte à la hauteur du rêve et la librairie en question, La Central de El Raval, restera à jamais chère à mon coeur.

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Mettez-moi dans une librairie, je suis heureuse. Mettez-moi dans une belle librairie, je suis aux anges... Dans cette librairie de la place Vicenç Martorell, vous auriez pu me laisser des heures, des journées et des nuits entières. Tout ce que j'aime s'y trouve, l'extraordinaire étant que cette librairie me susurrait à l'oreille, "tout ce que tu aimes, tu ne connais pas encore"! Le rayon des livres d'art est merveilleusement fourni, les catalogues des belles expositions du monde entier, se déroulant à l'heure actuelle s'y trouvent. Mais vous pourrez aussi tomber sur les conversations de Fabienne Pascaud avec Ariane Mouchkine, en français, dans le rayon théâtre. La partie réservée aux livres jeunesse est un monde en soi, fourni de grands classiques, ou de nouveautés, aux côtés d'un Sabrina, livre illustré retenu dans la sélection du Man Booker Prize 2018. Et toujours des sélections et des recommandations sur lesquelles vous avez envie de vous arrêter, qu'il s'agisse de livres de cuisine, de poésie ou de littérature "Natura".

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Je suis de près les publications anglo-saxonnes. Les livres que je visite dans les librairies d'Amsterdam ou de Dubaï, ou dont j'entends parler par la voie des réseaux sociaux, je les connais. Ici, j'ai vu des livres anglophones, des auteurs que je ne connais pas. Et puis, parce que j'étais à Barcelone, puisque j'ai envie de me familiariser avec les écrivains catalans, je suis restée longuement dans le rayon littérature hispanophone. J'ai fait une petite sélection. Je quitte Barcelone ravie de voir la langue catalane vivre partout, ravie d'avoir entendu mille langues parlées autour de moi dans les rues. Et je suis revenue, modestement, avec mes livres en espagnol castillan : je vais me mettre à lire en espagnol ! Merci Barcelone, et merci aux librairies de cette ville différente.

Mais si vous avez encore une minute, laissez-moi vous raconter une anecdote. On me l'a racontée dans une petite boutique de porcelaines et céramiques polonaises dans le quartier Born. "Les catalans sont les polaks de l'Espagne" m'a-t-on dit. Ah bon, et pourquoi ? ai-je voulu savoir. Paraît-il que Franco du temps de la seconde guerre mondiale aurait dit, "Ces catalans, je vais les mater moi, comme Hitler a maté les polonais"...

Je vous invite à écouter les émissions radiophoniques dont je vous parlais plus avant dans cet article. Il s'agit de "Barcelone par les écrivains" La Compagnie des Auteurs, sur France Culture, la semaine du 26 février 2018. L'extrait dont je parle se trouve dans la deuxième émission (2/4) de la série.

Je vous recommande également le livre qui est à l'origine de ces émissions :

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Tout au début de cet article je vous parlais de ma visite des librairies d'Amsterdam. Cliquez ici si vous souhaitez consulter l'article "Amsterdam par ses librairies".

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.