So Long, My Son, de Wang Xiaoshuai

Chérir toujours ; et chérir encore

Cela fait peur d'aller voir un film qui dure trois heures. On se demande si on ne va pas s'ennuyer, s'endormir, s'exaspérer de la longueur. Mais un film qui vous transporte trois heures durant, c'est encore plus fort et plus beau qu'un film plus court ! So Long, My Son trace l'histoire de deux familles. Une trentaine d'années de la vie de ces hommes et de ces femmes défile sous nos yeux, tranquillement, en prenant le temps nécessaire. Et pas une seule seconde on ne voit ce temps passer. On est si plongés dans leur vie, dans leurs émotions, dignement retenues par une réserve élégante que l'on se sentirait presque avec eux, là-bas, en Chine. Le travail de montage est tel que l'on est agrippé à chaque scène. Eh oui, trois temps différents de l'histoire nous sont rapportés simultanément. D'une scène à l'autre on a pu avancer ou reculer de dix ans, de vingt ans. Un moment on est dans le contexte de la révolution culturelle, un autre moment dans l'aujourd'hui de la ville, dans l'aujourd'hui de la campagne, et parfois l'on est entre deux : après la révolution culturelle, mais pas encore dans une ère actuelle. Le jeu des acteurs, la précision des prises de vue, l'attention portée à chaque détail, sont remarquables. Mais c'est une histoire très simple qui est narrée : celle du désir d'être parent, celle de l'amour parental, et celle d'un système qui peut broyer les êtres humains.

Au début de l'histoire il y a donc ces deux familles amies. Chaque couple a un fils. Les deux garçons sont les meilleurs amis du monde. On saura plus tard que nous avons d'un côté une famille modeste, de l'autre une famille plus fortunée et plus influente. Il arrive un malheur, peu de temps après un précédent malheur. La conjugaison de ces deux malheurs ruinera la vie d'une des deux familles. Et nous verrons vers la fin du film l'impact de ces mêmes malheurs sur les membres de l'autre famille. Car l'histoire se déroule sous nos yeux mais bien des choses nous seront révélées à la fin, à nous spectateurs, en même temps qu'aux principaux intéressés dans l'histoire. D'autres personnages, parents d'une des familles joueront leur rôle dans cette histoire. Et chacun nous permet de voir et de comprendre un aspect de la Chine. Cette Chine de la révolution culturelle a eu sa grande part de responsabilité dans les malheurs individuels. Mais bien entendu, personne n'interroge le système, tout comme personne n'interroge l'attitude de l'autre. Et pour nous spectateurs occidentaux c'est terriblement émouvant de voir vivre ces familles, de constater leur capacité d'acceptation, d'adaptation et la constance dont il font preuve alors qu'ils traversent tempête sur tempête. Ce film nous offre une image de la dignité humaine. Bouleversant serait le mot pour qualifier ce film, et force dans la simplicité, justesse de ton seraient d'autres mot pour dire le talent du réalisateur et de toute son équipe.

Mais bien entendu si le film parvient à nous maintenir en état d'éveil seconde après seconde - au-delà de l'acrobatie géniale du montage - c'est parce qu'il nous fait traverser un pays. Nos personnages se déplacent, ils déménagent plusieurs fois, et ne savent pas s'ils vont revoir leur ville natale. On voyage à leur côté, on regarde cette Chine des pêcheurs, puis cette Chine des buildings, on revient à cette Chine des usines. Eh oui, on va et on vient dans un vaste espace qu'on ne connaît pas. Les personnages aussi sont perdus dans ces nouveaux lieux. Ils se reconstruisent à chaque étape. Et à chaque nouveau coup dur, ils se disent "cela aussi on arriver à le passer". Survivre aux déceptions, survivre aux espoirs brisés et continuer de mener son bonhomme de chemin, ici ou là, en ayant telle ou telle activité, est si joliment mis en scène ici. Le réalisateur lisse le tout. Et il nous berce de douceur, pour nous inviter à regarder doucement une vie si peu douce.

     

     

Cela va vous paraître étrange, mais pendant le film je me suis surprise à faire attention aux objets. Chaque petit détail, cette table, cet outil, ce bibelot, ce miroir accroché au mur, je n'en perdais pas une miette. Les mouvements de caméra portaient mon attention sur toutes ces petites choses, sur mille éléments très anodins. On balayait des yeux les pièces, les intérieurs et on s'agrippait à tout. Pourquoi ? Je ne saurais vous le dire. La vie est peut-être un musée, des collections y entrent, en sortent, certaines choses restent. Parfois je me demandais où, dans quel lieu, à quelle époque, se trouvaient les personnages, alors je portais mon attention sur ce qui les entourait. Je regardais l'évier où ils faisaient des préparatifs de cuisine, le lavabo où ils se lavaient les mains... Et lorsque est arrivée une scène où la maison s'est trouvée inondée suite à une forte pluie, tous les objets, tous ces ustensiles de la vie quotidienne s'étaient mis à flotter dans l'eau. Nos personnages sont arrivés et ont commencé à ramasser ces objets, les sortir, un par un, hors de l'eau. Je les regardais faire. Je regardais encore ces objets. Un homme, un objet, quelle différence. La destinée ne nous promène-t-elle pas telle un bol en plastique embarqué dans l'eau ? La vie n'est-elle pas elle-même une embarcation ? On pourra en discuter, et l'on se demandera s'il s'agit de la destinée ou du système politique. Le libre arbitre de ces hommes et de ces femmes les portera à l'action saine, si possible sage. Même les jours où ils sont loin d'être parfaits, ils gardent la lenteur dans leur action, et en ce faisant, évitent d'être brisés définitivement.

Je ne vous ai rien dit, ou si peu, de l'histoire, des rebondissements, de ce qu'encouraient et traversaient les personnages. Je vous ai si peu présenté et parlé des personnages. Mais, voyez-vous, j'aurais peur de vous gâcher le film. Il est nécessaire de prendre son temps pour découvrir le tout par soi-même. Car étonnement il y a une sorte de "Happy End" dans ce film. Or on sait bien que les films ou les romans avec une jolie fin sont niais. Ici le film nous offre bien une jolie fin qui nous fait pleurer, d'émotion. Mais le Happy End ne change rien à tout ce qui s'est passé durant ce long passé, durant ces trois décennies. Il donne un sens à cette longueur de temps, et du relief à la constance dont font preuve les uns et les autres. J'ai eu l'impression avec ce film d'être plongée dans la sagesse du Yi Jing. Et pourtant ces derniers temps j'en étais venue à penser que la Chine actuelle était loin de ses traditions et philosophies ancestrales. Non. Ce qui dure ne peut se perdre. Parce que le temps a poli progressivement et patiemment la résilience des générations successives, les sagesses universelles resurgissent inévitablement !
Allez-voir ce film, mes chers amis.

SO LONG, MY SON
Réalisateur : Wang Xiaoshuai
Scénario : Ah Mei, Wang Xiaoshuai
Musique : Yingda Dong
Montage : Lee Chatamelikool
Directeur de la photographie : Hyun-Seok Kim
Casting : Yong Mei, Wang Jing-chun, Qi Xi, Du Jiang, Ai Liya, Zhao Yanguozhang, Xu Cheng, Li Jingjing
Date de sortie France : juillet 2019

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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