Voyage à Yoshino, de Naomi Kawase

Le bonheur, avec Vision

Voyage à Yoshino, le tout dernier film de la réalisatrice japonaise était projeté dans le cadre du cycle Naomi Kawase, programmé par la Cinémathèque de Corse.  Et voir un film en présence de sa réalisatrice (qui était dans la salle parmi les spectateurs), écouter ensuite ses commentaires et réponses aux questions posées (vidéo en bas de cette page), eh bien, cela donne une autre dimension encore à l'expérience vécue. Car le cinéma de Naomi Kawase est une expérience de vie, un moment hors du temps où l'on dépasse son petit statut terrestre et où l'on entre en contact avec quelque chose de plus global qui rapproche le céleste et le terrestre.

Alors, oui, davantage que voir un film, je l'ai reçu. Les paroles de la réalisatrice, son propos développé dans le film m'ont pénétrée. Et en sortant de la salle j'étais ailleurs. Empreinte d'une mélancolie profonde, dénuée de questions, ayant oublié l'intérêt d'une réponse, j'errais dans une sphère qui était douce et alarmante à la fois. Car les questions traitées dans ce film sont graves. Quel est le sentiment actuel de la nature qui nous environne ? Avons-nous abandonné notre nature ? Tout comme des parents peuvent abandonner leurs enfants. Au final c'est celui qui a abandonné l'autre qui sera perdu, se sentira perdu, et ira à la quête, de ce quelque chose qui peut offrir le bonheur. Dans le film ce quelque chose s'appelle Vision. Et Vision est une plante, légendaire, mais existe-t-elle réellement ?...

Le décor est posé assez vite dans le film. Une femme occidentale arrive à Yoshino. Elle est journaliste ou chercheuse, on ne sait pas bien. Un guide, une jeune femme japonaise, l'accompagne. Ils rencontrent un homme qui est en quelque sorte un garde forestier. Il veille sur la montagne et ses arbres. Il est attentif, et à l'écoute de la nature. Il est proche d'une vieille dame, une femme "sans âge", une sorte de chamane, qui entend clairement la parole de la nature, et la brise lui souffle les secrets du monde et de l'avenir. La journaliste, Juliette Binoche, va la rencontrer. Mais cette vieille dame aveugle était déjà au courant de son arrivée avant même de la voir. L'étrangère et le garde forestier vont vivre une relation. Puis la vieille dame disparaît, ou rejoint l'essence de la nature, et un jeune homme surgit, de la forêt, que le garde forestier va recueillir. Et puis, et puis... L'histoire reste énigmatique pendant une bonne partie du film, puis, vers la fin, on en apprend plus, sur l'histoire et le passé de chacun des personnage, et ce qui les relie.

     

     

Soyons honnête, je n'ai pas réussi à rentrer dans le film pendant que je le regardais. Je restais comme en dehors. Le jeu de Juliette Binoche, son personnage, ne me gagnaient pas, la relation vécue entre les deux personnages de l'homme et de la femme non plus. Vers la fin du film quand l'histoire se dévoile à nous, j'ai compris que c'était normal. Mais en réalité, tout ce temps je regardais autre chose. Cette nature. Cette montagne, cette forêt, ses clairières, les jeux d'ombre et de lumière. Une scène dans le film retenait mon attention. Une prise de vue qui revient régulièrement dans le film. On voit le sommet d'une montagne, filmée d'en haut, tout comme du ciel. La montagne est recouverte d'arbres. Ils sont verts. Et une petite touche de rouge s'y décèle. Au fil du temps, la petite touche de rouge s'étend. Oui ce sont des arbres dont les feuilles rougissent. Mais l'impression que cela donne est que la forêt s'embrase. Et l'on a envie d'arrêter ce feu qui gagne la verdure. On est perturbé. Mais c'est ainsi on ne peut rien y faire. Et puis ça s'explique dans les paroles des personnages. C'est une fin de cycle qui s'annonce. Et il ne peut y avoir de clarté, de bonheur, de renouveau, que grâce à cette terminaison. Aussi faut-il se réjouir de cette annonce funeste, où quelque chose rencontre sa fin...

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Alors voilà. J'ai vu le film. Et ensuite j'ai écouté les mots de Naomi Kawase qui nous a dit de très belles choses. Sur la nature, sur les arbres. Et puis, pendant que je regardais le film je me disais que l'histoire vécue par le personnage de la femme occidentale avait des relents autobiographiques de la vie de Juliette Binoche. Ce n'était là que supposition et intuition. Puis Naomi Kawase nous a expliqué que la destinée du jeune garçon dans le film reflétait une part autobiographique de sa propre vie. Ainsi donc, les histoires personnelles développées dans le film étaient si personnelles que le spectateur était tenu à distance, comme s'il s'agissait de sa propre histoire qu'il avait maîtrisé en l'empêchant de grignoter de trop sur l'expression de ses sentiments. Nous étions plongés à l'intérieur de quelque drame, et pour cette raison même nous restions à l'extérieur de ce qui s'était tramé. Mais la crête, la frontière, ce petit fil ténu qui relie l'extérieur et l'intérieur, le visible et l'invisible, le début et la fin, en toutes choses, était au cœur de l'histoire, était le sujet du film.
Et donc, comme je vous l'ai dit, je suis sortie de la salle envahie par un sentiment que je ne savais discerner. Ce n'était ni agréable ni désagréable, inquiétant peut-être, perturbant peut-être, mais une vérité s'y logeait, authentique, et en cela réside le cinéma de Naomi Kawase. C'est un cinéma que j'aime. Et vous l'aurez compris, après cette projection, après avoir vu le documentaire d'Yves Montmayeur, j'étais décidée à voir tous les films de Naomi Kawase, non pas pour comprendre ce qui s'y cache mais simplement pour vivre ce qui s'y meut.

Je vous invite à regarder la vidéo que j'ai affichée en bas de cette page, réalisée par la Cinémathèque de Corse et qui restitue l'intégralité de la soirée, et de l'intervention de Naomi Kawase.

VOYAGE A YOSHINO
Réalisateur : Naomi Kawase
Scénario : Naomi Kawase
Compositeur : Makoto Ozone
Directeur de la photographie : Arata Dodo
Casting : Juliette Binoche, Masatochi Nagase, Takanori Iwata, Mirai Moriyama, Mari Natsuki, Minami, Min Tanaka, Kazuko Shirakawa
Date de sortie France : novembre 2018

Ce cycle Naomi Kawase a commencé avec la projection du documentaire d'Yves Montmayeur, Variations Kawase. Je vous invite à lire l'article de Kimamori qui en parle.

Je remercie chaleureusement la Cinémathèque de Corse - Casa di Lume pour nous avoir offert de vivre ces moments riches et intenses dans le cadre du cycle Naomi Kawase si délicieusement programmé et organisé par leur soin. Et je vous invite à visionner la vidéo ci-dessous, conçue par la Cinémathèque. Elle nous restitue cette soirée, avec une présentation du film au début par Yves Montmayeur, en compagnie de Lydie Mattei et Antoine Filippi, le directeur de la Cinémathèque de Corse, puis l'intégralité de l'intervention de la réalisatrice japonaise Naomi Kawase.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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