« Mademoiselle ne cesse de le marteler depuis des années, quand il dit soleil, on doit voir le soleil. Quand il dit pluie, la pluie. Jeune homme je suis là pour guetter dans votre voix tout phénomène franc, rarement d'ordre météorologique d'ailleurs. L'amour, poignant. Le désespoir, absolu. La vérité, vraie. »
Le récit commence conjointement en 1912 et en 1935. Notre futur prodige, Elio Leone naît en 1912. Il se produit pour la première fois sur la scène d'un grand théâtre et un programme prestigieux en 1935. Progressivement on saura faire le lien entre ces deux dates, et faire rejoindre deux destinées qui semblaient a priori aux antipodes. Car ce garçon sera orphelin dès sa naissance, sera transporté de nourrice en nourrice, d'affreuses familles d'accueil en affreuses familles d'accueil, avant de trouver une situation stable, à 7 ans, par la grâce du ciel, et l'humanité d'un médecin engagé dans mille œuvres caritatives intelligentes. Bien plus tard un deuxième ange croisera son chemin et l'accompagnera dans sa vie : Mademoiselle, vénérée professeure de rôle, inestimable présence dans le monde de l'Opéra.
Les dates où l'histoire est installée ne sont pas anodines. Car, vous l'aurez deviné, nous allons traverser la seconde guerre mondiale. Les guerres, comme toujours, font tout basculer, s'emparent de destins pour les bousculer. Et notre Elio Leone qui avait réussi à tendre son chemin vers un meilleur, par son travail, par son talent, par sa passion, devra réapprendre à vivre et construire de nouveau ; peut-être autrement.
Je vous parlais plus avant du travail sur la forme. Elle est déroutante. La typographie même relève d'un texte dactylographié à l'ancienne, banalisée, sans polices de caractère personnalisées ni pagination qui met en valeur le contenu. On ne sait jamais si l'on est dans le film mis en scène ou dans la vraie vie du narrateur. Car les personnages sont les mêmes, et la frontière si mince entre le rôle de l'acteur et la personne humaine qui tient ce rôle. Lentement on rentre dans le cadre et l'on s'émeut de lire l'histoire de la vie des uns et des autres. Ces "Asiat' de service" qui prennent l'accent comme il le leur est demandé, qui deviennent fades et interchangeables s'avèrent être nés aux États-Unis, avoir fait de belles études, avoir cru à la possibilité de n'être plus "Asiat' de service", "Incroyable Guest Star" ou "Vieil Asiat". L'histoire de leurs parents, à leur tour, devient plus poignant encore : ils avaient traversé des continents de souffrance pour que leur enfant ait une vie meilleure.
J'ai aimé tant de choses dans ce roman. Mais j'aime mieux vous laisser découvrir par vous-même, et nous pourrons en reparler ensuite. Néanmoins j'aimerais souligner le merveilleux qu'apporte la musique dans Des lendemains qui chantent.
Car tout est vu et mis en image par les ondes musicales, au-delà du fait que le lexique de l'Opéra, des chanteurs d'Opéra solidifie la tenue du texte. Les opéras, dont de Verdi, nous sont contés par leur intériorité. Le lecteur savoure cette langue qu'elle lui soit familière ou non.
Un roman devient poignant lorsque son personnage sort des sentiers battus, et fait des choix qui peuvent surprendre. Un roman se fait tendrement attachant si les relations entre les personnages ont une mélodie, une ampleur belle par l'amour ou l'amitié qui s'y manifeste. Alexia Stresi a su insuffler tout cela à Des lendemains qui chantent, pour notre plus grand bonheur.
Des lendemains qui chantent
Alexia Stresi
éd. Flammarion, 2023
Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Zhamshid Chorshanbiev,
- Hengki Koentjoro (photographie).
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.