La Femme Guerrière, de Maxine Hong Kingston

« J'appris à élargir mon esprit, à le rendre aussi vaste que l'Univers, pour que les paradoxes y trouvent place.. »

Ce roman est une de mes grandes découvertes et surprises de béatitude de 2022. Et l'on peut faire confiance aux éditions La croisée pour nous faire découvrir le meilleur de la littérature anglo-saxonne. On se laisse vite happer par La Femme Guerrière et l'on se dit que le livre représente parfaitement la littérature américaine actuelle, de qualité. Mais voilà. L'écrivaine sino-américaine Maxine Hong Kingston a été publiée pour la première fois en 1975 avec ce titre ! Elle est devenue un modèle pour tous les écrivains des générations qui ont suivi. Le résultat étant que non seulement le livre est excellent, se promenant entre légendes et histoires humaines, mais il garde son actualité : il n'a pas pris une seule ride ni dans les thèmes traités ni dans la forme et la structures employées.

Le roman se déroule aux États-Unis et met en scène la vie d'une famille chinoise émigrée. Les enfants, désormais trentenaires ou plus, sont nés en Amérique, ont grandi et été formés par cette culture. Ils mènent des vies de jeunes américains. La narratrice nous racontera son enfance, les histoires que leur mère leur transmettait – qu'elles fussent légendaires ou familiales – et de fil en aiguille on lira l'immense écart entre l'imaginaire, le mode de pensée et la vie d'une femme chinoise en Chine ou émigrée, et ceux de la génération suivante, les sino-américains. Les récits légendaires sont sublimes. Les histoires vécues autrefois en Chine sont époustouflantes et instructives. Mais le plus grand délice restera le personnage de la mère, hors du commun, courageuse et un peu sorcière, déterminée à maintenir l'intégrité de son identité multiple et ancestrale..

Ainsi bien des sujets sont explorés dans La Femme Guerrière, allant de l'exil à la condition de la femme, en passant par la piété filiale ou la simplicité des vies anciennes comparées à la surconsommation de nos jours. On découvre la femme chinoise telle qu'elle est vue depuis la nuit des temps dans son pays et la conscience collective transmise de parents à enfants. Elle est inexistante, elle ne compte pas comme être à part entière comparée aux garçons. Et pourtant peu de choses se feraient sans elle, qui porte souvent une famille nombreuse à bout de bras, tout en pliant l'échine.

Une autre grande beauté du roman réside dans l'appréciation juste de la fracture entre deux générations que sépare non seulement le temps et les spécificités de l'ère qui aura accueillie chacune d'elles, mais aussi la perte d'une culture d'origine, son oubli naturel et parfois volontaire.

Pour finir, j'aimerais dire un mot sur la modernité ou l'intemporalité de la voix de la narratrice, et par là-même celle de l'écrivaine. Nous lisons tant d'autofictions de nos jours, ou des récits vécus (creative non fiction selon son appellation anglaise), que nous oublions la singularité de ce choix littéraire, son audace en des temps où cela n'était ni naturel ni envisageable, et certainement pas inscrit dans les tendances des lectures recherchées par le grand public. Je ne ressens pas le besoin de préciser si la narratrice du roman est l'auteure, ou un personnage fictif. Le romanesque n'a jamais eu besoin de préciser s'il relevait de fiction ou non !

Pour toutes ces raisons, et bien d'autres, La Femme Guerrière est un tour de force intemporel. Et il se laisse lire avec délice, il nous nourrit de vécus et de contes. Il nous montre que les deux se tiennent la main et se reflètent en positif ou en négatif, le miroir étant fidèle au regard de chacun.

LA FEMME GUERRIÈRE
(The Warrior Woman)
Maxine Hong Kingston
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Andrée R. Picard
éd. la croisée 2022 (v.o. 1975, première parution en français 1979)

 

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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