Le don de la pluie de Tan Twan Eng

L'écrivain malais Tan Twan Eng avait remporté le Prix Man Asie en 2013 pour son roman "Le jardin des brumes du soir", traduit et publié en français en 2016. Je l'avais lu avec un immense plaisir et vous en avais parlé. Mais depuis un moment déjà j'étais curieuse de connaître son roman précédent, très remarqué et loué dans le monde littéraire anglo-saxon. Sa maison d'édition française a eu la bonne idée de publier le premier roman de l'écrivain "Le don de la pluie", paru en français le mois dernier ! J'ai retrouvé tout ce que j'avais aimé chez Tan Twan Eng et découvert des saveurs bien différentes aussi. Ici nous sommes plongés dans une nostalgie merveilleuse, de celles qui nous apaisent et que l'on révère. L'histoire d'un homme et l'Histoire d'un pays s'entremêlent et nous frappent de mille teintes colorées et autant de notes musicales. Vous l'aurez compris, ce livre m'a enchanté. Je vous invite sans hésiter à vous plonger dans ce grand roman, historique, initiatique, romanesque et tissé de toutes les nuances et complexités de l'âme humaine.

Le récit s'ouvre sur l'arrivée d'une dame japonaise en Malaisie. Elle va à la rencontre du narrateur, un homme d'âge mûr, et bien établi. Très vite on comprend que tous deux ont été très attachés au même homme, un grand maître d'Aïkido, qui avait quitté son pays natal pour s'installer dans l'île de Penang peu avant la seconde guerre mondiale. Le narrateur, ainsi confronté à son passé est déconcerté au départ mais décidera finalement de raconter sa vie, pour la toute première fois, en détail et sans rien omettre, à cette femme. Parce qu'elle peut l'entendre sans le juger, l'un et l'autre pourront se libérer d'une mémoire chargée. Dès lors, au travers de ce récit, nous serons plongés dans une période particulière de l'histoire de la Malaisie.
Notre narrateur est un malais de père britannique et de mère chinoise. L'homme qui va l'initier à la vie est japonais. Et voilà que le Japon déclare les hostilités à ce pays au commencement de la guerre. Déchiré entre ses traditions chinoises, le désir de protéger sa famille britannique et sa loyauté envers son maître Aïkido, notre jeune homme devra faire des choix difficiles, et s'y tenir coûte que coûte.

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Qu'il s'agisse d'un homme ou d'une nation, trouver l'équilibre au sein de plusieurs cultures qui s'entrelacent, et parfois se combattent, est chose bien difficile. Raconter cela ne l'est pas moins. Ici l'écrivain y parvient par des artifices si subtils, si finement maniés que l'on peut à juste titre admirer son talent de romancier conteur. J'ai particulièrement aimé toutes les scènes où l'on appréhende l'esprit japonais au travers des principes et techniques de l'aïkido. L'esthétique d'une chute nous est rendu par une image poétique, elle-même sous-tendue par une idée métaphysique.

Mais le narrateur, et l'écrivain, vont plus loin. Ils nous permettent de pénétrer les arcanes de chacune de ces pensées, la pensée chinoise, celle japonaise ou encore celle britannique. La présence des ancêtres ou des vies passées, le fait que d'une vie à l'autre on peut se retrouver et recommencer le même exercice jusque l'accès à un stade plus élevé n'est qu'un exemple parmi tant d'autres.

Que pourrais-je vous dire de plus, si ce n'est que l'histoire est belle, que les personnages sont attachants et que le lecteur se sent faire partie intégrante de ce monde, le temps de la lecture... Et pour ma part, j'avoue qu'à la fin des quelques quatre ou cinq cent pages de ce roman j'ai eu envie de me replonger dans l'autre roman de Tan Twan Eng lu il y a quelques années. Je suis certaine d'y prendre le même plaisir mais de le lire un peu différemment peut-être. Après Le don de la pluie, un Jardin des brumes du soir se révèle mieux, me suis-je dit...

LE DON DE LA PLUIE
Tan Twan Eng
Traduit en français par Philippe Giraudon
Edtions Flammarion 2018 (v.o. 2007)

L'illustration présentée ci-dessus est le logo du club d'Aïkido d'Irlande.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.