Le jardin blanc, de Stephanie Barron

La vérité bien cachée

Ce roman est paru dans sa version originale en 2009, puis dans sa traduction française en 2013. C'est seulement aujourd'hui en vue de notre Book Club thématique consacré à La Femme le 23 mars 2021 que je me suis fondue dedans. Et ce fut un pur régal. Porté par un rythme haletant et un suspense digne des plus beaux polars, le lecteur vivra au plus près de Virginia Woolf et de son monde. L'art du jardinier est souligné à chaque page. Et tout cela est soumis à un monstre : la guerre, et la patte de l'Homme qui le dessine savamment. En quête de vérité, le livre sait, dès le début, que cette chose-là est souvent masquée, enfouie sous terre. Seul un jardiner s'amuserait à la remuer !

Vita Sackville West, amie et ancienne amante de Virginia Woolf a conçu un jardin dans sa demeure de Sissinghurst. Il se nomme Le jardin blanc, et dès sa création a été dédiée à la grande écrivaine. Jardiniers et paysagistes s'en inspirent depuis pour offrir à leurs clients des copies de ce jardin blanc. Et c'est sur cette note que commence le roman. Une jeune américaine se rend en Angleterre pour visiter le jardin original afin de satisfaire la demande de son client Gray Westlake, homme d'affaires fortuné et ambitieux. De fil en aiguille elle va se trouver sur les traces de l'histoire du lieu, datant de mars 1941. Elle est loin de se douter que son grand-père, originaire du lieu, a été au cœur de l'intrigue qu'il lui faudra démêler, et qu'elle découvrira les dessous - la vraie histoire - de la mort de Virginia Woolf qui ne se serait nullement suicidée.

Le livre se dévore tel un thriller. Et il relève de la fiction. Or le lecteur se rend bien compte, très tôt dans le récit, que le récit fourmille d'informations issues d'une grande recherche documentaire. Tout est imaginé ; mais tout est vrai ! On se promène dans la vie de l'écrivaine Virginia Woolf, on rencontre ses proches, ses amis, on déambule dans les lieux qui l'ont vue vivre. On cerne mieux le personnage. Et au final la thèse fantasque du roman paraîtra plausible à tout un chacun. La dame a disparu en laissant une lettre à son époux - lettre que tout un chacun connaît aujourd'hui. Mais l'on n'a retrouvé son corps, repêché son cadavre, que quelques trois semaines plus tard. Que s'est-il passé durant ces fameuses semaines ?!

Le jadin blanc présente un intérêt multiple, qui séduira bien des lecteurs différents. L'univers du jardinage, le monde universitaire, le milieu de l'art, l'écriture et la poésie, la famille Woolf, les années de guerre en Angleterre, l'architecture et l'histoire de bâtiments londoniens et alentour, tout cela est merveilleusement mis en lumière dans ce petit texte de quelques centaines de pages. Chacun y entrera par son propre chemin. Les mille noms de fleurs, de plantes et d'arbres ne m'évoquaient pas toujours une image précise mais j'aimais les côtoyer. La vie de ce chateau de Sissingurst et de ses habitants ne m'avait jamais intriguée auparavant. Les contrats et intérêts d'un Sotheby's me passaient par-dessus la tête. Seulement voilà, les personnages fictifs et leur enquête policière m'ont portée dans bien des endroits où je n'aurais jamais mis les pieds. Et cela m'a enchantée.
Mais pour ma part, bien entendu, c'est la femme de lettres qui m'intéressait. Comme toujours il faut faire tomber le voile sur les figures par trop connues. Le milieu littéraire anglais de l'époque savait bien des choses que nous ne soupçonnons pas. Et les coulisses de la guerre, la part prise par les hommes de sociétés très secrètes et très influentes, ne sont pas déclamées non plus sur tous les toits. Toutes raisons valables pour lire attentivement cette fiction sans prétentions, et largement divertissante ..

Mais pourquoi ai-je choisir d'inclure ce livre dans mes recommandations autour de la thématique La Femme ? Une femme qui écrit, qui voue son énergie et sa détermination à la liberté de dire, surtout en la personne d'une Virginia Woolf dont j'admire la plume, est au coeur de l'intrigue. Face à elle, un monde d'homme, caractérisé par la guerre et les machinations qui vont avec. La vérité est confrontée aux intérêts du monde. La liberté, elle, est menacée par le pouvoir et les désirs de domination. Comment écrire dans ces conditions, comment continuer d'être fidèle à soi lorsqu'on est cette Virginia Woolf de mars 1941. C'est la fameuse éternelle histoire qui se joue et se rejoue tous les jours depuis la nuit des temps. Hommes et femmes en font les frais, mais ce sont souvent des parcours de femme qui en disent le plus long.

LE JARDIN BLANC
(The White Garden)
Stephanie Barron
Traduit de l'anglais (américain) par Isabelle D. Philippe

éd. Nil 203
Sortie poche chez les éditions 10/18

Les illustrations présentées dans l'article sont :
- Château de Sissinghurst,
- Collage Virginia Woolf de Chiara Sandretto.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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