Le procès du cochon, d’Oscar Coop-Phane

Comment faire entendre raison à cet animal ?!

Le roman d'Oscar Coop-Phane est d'une simplicité exemplaire. Et pourtant il nous laisse perplexe. Qu'avons-nous compris de cette histoire ? Car nous serons intrigués, amusés, sans parvenir à lever le mystère de ce qui n'est pourtant nullement caché ! Eh oui, comme le dit si bien son titre, nous allons lire le procès de ce cochon qui a commis un acte monstrueux.
Je peux vous le dire. J'ai lu le livre deux fois, dès ma première lecture. Et je le relirai. Car la subtilité est dans la manière dont l'auteur a rédigé son texte. Il nous offre quelque fruit pour la réflexion ; un fruit que nous ne savons nommer et que nous connaissons jusqu'à la moelle.

Le roman commence par ces mots :
« Il marche toujours seul et sans y réfléchir. Il s'arrête parfois, pour grignoter une racine ou la chair d'un animal crevé là. Ses pieds connaissent bien les chemins de traverse, ces pistes rocailleuses où la poussière recouvre les herbes. On l'a battu, parfois ; on ne l'a jamais aimé. Il n'est pas vieux. Sa peau pourtant s'est durcie, une coque rose que la pluie lave quand il ne peut trouer d'abris. La chance et un instinct obstiné l'ont poussé à ne pas se laisser mourir dans les solitudes de l'hiver, dans le froid des forêts. »
Ce "il" arrive ensuite aux abords d'une maison, se laisse aller à son instinct, puis s'en retourne dans la nature. Et les habitants du lieu découvrent l'abominable meurtre dont il s'est sali les pattes. Il sera recherché, arrêté, interrogé, incarcéré, jugé, et exécuté sur la place publique.

Le récit se découpe en quatre parties : Le crime, Le procès, L'attente, Le supplice. Et en effet, c'est très précisément ces quatre phases qui sont dites, détaillées d'un ton froid glacial, et factuel. Si ironie ou sous-entendu il y a, elle ne se voit pas. Nous lisons un fait divers dans son moindre détail tel un compte-rendu et ses minutes. Sur la quatrième de couverture on nous informe que les hommes jugeaient bien les animaux du XIIème au XVIIIème siècle. Donc, nous avons également affaire à un fait historique.

Seulement voilà, la lecture est jubilatoire. Car à aucun moment il n'est fait référence au coupable autrement que par ce "il". C'est d'ailleurs vers la fin du récit qu'il sera écrit noir sur blanc qu'il s'agit d'un cochon. Je l'ai relu d'une traite, dès après l'avoir lu une première fois pour cette raison. Les attributs et les agissements, le mode de vivre et de se mouvoir de ce "il" s'apparente bien au cochon. Mais en réalité ce texte pourrait s'appliquer à un "il" générique ; un animal, oui, une bête monstrueuse. Qui est hué. Qui est jugé.

Tant d'extraits de ce livre sont exquis. Je vais en souligner un parmi d'autres : l'invitation des semblables de notre coupable à l'exécution. Car vous comprenez, il est essentiel qu'ils voient la mise à mort de leur congénère assassin, pour garder en tête la morale de l'histoire : s'il leur venait à l'idée de commettre ce type d'acte, ils seraient sévèrement punis. Alors ce parterre de cochons qui est ainsi convié, très parfaitement mis en garde, il est évident qu'il se tiendra à carreau dorénavant, n'est-ce pas ?!
En lisant le roman je pensais à l'adage moderne Balance ton porc qui a tant circulé sur les réseaux sociaux au moment du MeToo. Tous ces porcs ne savent-ils pas que ce qu'ils font est mal, et qu'ils peuvent être jugés ? C'est ainsi qu'on reviendra au tout début de notre histoire, pour vérifier d'avoir saisi le propos. L'ignorance et la conscience. Lequel se trouve de quel côté de la barre, dans le tribunal de l'humanité ; et qui forme le banc des accusés.

LE PROCES DU COCHON
Oscar Coop-Phane
éd. Grasset  2013
Sortie poche éditions  La Table Ronde 2020

Les photographies mettant en scène la couverture du livre sont de © murielarie pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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