Trois incendies, de Vinciane Moeschler

La Femme - la guerre

J'avais lu tant de belles critiques et de réactions de lecteurs enchantés sur ce livre ; et voilà qu'enfin à l'occasion de notre Book Club thématique consacré à La Femme je m'y plonge. Oui, c'est un excellent livre. Il est juste, précis et beau. Il nous dit la guerre. Il nous dit La Femme face à la guerre, en différents temps et différents lieux. C'est l'éternelle histoire du monde et de l'humanité.

Le premier chapitre du roman a pour titre Alexandra, le deuxième Léa, le troisième Maryam. Ces mêmes titres ne cessent de revenir, toujours dans le même ordre. Nous allons lire l'histoire de ces trois femmes. L'une dans les années 80 à Beyrouth, l'autre durant la seconde guerre mondiale à Bruxelles puis en France, et la dernière aujourd'hui à Paris, à New York. Très vite nous saurons que ces trois femmes se connaissent. Nous réaliserons que nous sommes en train de lire des tranches de vie de trois générations d'une même famille : la mère, la fille et la petite fille.
Le passé de ces femmes explique leur présent, donne de la profondeur à leurs choix. Et surtout, en avançant tout doucement dans le temps, en recollant les pièces d'un puzzle morcelé, Alexandra, Léa et Maryam chercheront à faire la paix avec elles-mêmes, à défaut de trouver une paix dans le monde.

Le roman se lit relativement vite. Il ne torture pas le lecteur. Mais il est sensible. Surtout, j'ai apprécié qu'il soit bien documenté, qu'il présente les faits de notre histoire contemporaine avec honnêteté. Cela est probablement dû au fait que l'écrivaine est par ailleurs journaliste et auteure de documentaires radiophoniques. Elle a écrit ce roman suite à la réalisation d'un documentaire nommé « femmes dans la guerre » (diffusé sur RTBF et France Culture).

Néanmoins la romancière sait donner chair à ses personnages. Et avec chacune d'entre elles, c'est un nouvel univers qu'il nous est donné de côtoyer. Alexandra est photographe. C'est une photographe spécialisée dans les guerres. Elle travaille en suivant la formule de Cappa : elle se rend au plus près de là où se déroule l'événement. Nous la voyons travailler. Nous la voyons respirer chaque souffle de vie et de mort autour d'elle. Et bien entendu, si le photographe Robert Cappa est connu pour sa consigne de photographe, on oublie souvent que sa compagne Gerda Taro, qui, pour avoir parfaitement suivi cette ligne de conduite, est décédée lors d'un de ses reportages de guerre.
S'approcher au plus près de l'horreur peut être fatal, destructeur. Alexandra, tout comme sa mère qui a vu les horreurs de la guerre en Europe, devra faire avec, tenter de vivre avec ce qu'elle a côtoyé, vu et vécu. Quant à Maryam, héritière de ce qu'engendre la guerre, agit conformément aux nouvelles générations. Elle cherche à garder ses distances. On pourrait la croire indifférente au tout début du roman. Mais non, fragile serait un attribut plus vrai. Et notre Maryam, dégoutée des hommes, leur préfère les animaux, d'où ses études d'éthologie ..
Eh oui, nous retrouvons bien notre monde et ses évolutions. Chaque génération représente son époque. Aucune époque n'a su pourtant, à ce jour, bâtir une grande évolution où l'homme s'échinerait pour la victoire de la paix.

Vous allez me demander pourquoi le roman se nomme Trois incendies. On pourrait dire que chacun des personnages est une ôde à la femme, à sa force, à sa détermination, à son art d'aimer malgré tout. Mais je serais d'avis qu'il nous faut percer l'incendie intérieur que chacune de ces femmes a traversé pour devenir solide comme un roc. J'ai noté aussi que "l'élément masculin dominateur" étant représenté par la guerre dans ce roman, les personnages masculins qui s'y meuvent sont d'une grande tendresse, émouvants et attachants. L'injustice et les horreurs de l'Histoire rejaillissent sur tous, font le malheur tant des hommes que des femmes.


TROIS INCENDIES
Vinciane Moeschler
éd. Stock (collection Arpège), 2019

Les sculptures présentées dans l'article sont les œuvres de Anne de Villeméjane.
La photographie mettant en scène la couverture du livre est de © murielarie pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

Leave a Comment