Nos frères inattendus, d’Amin Maalouf

Toute fin est promesse de renouveau

Je suis une lectrice d'Amin Maalouf, de longue date. Le rocher de Tanios, Samarcande, Les jardins de lumière... comme moi vous les avez lus. Ses livres plus récents ont une saveur propre, aussi délicate et lumineuse que ceux d'avant. Prix Goncourt, élu à l'Académie Française en 2011, il me semble que l'homme est aussi admirable que l'écrivain. Et cela s'apprécie particulièrement ici, dans ce tout dernier roman publié, Nos frères inattendus. Structuré tel un journal de confinement rédigé chaque jour, un mois durant, il raconte tout autre chose que ce que nous avons vécu ce printemps 2020, et nous éclaire d'autant mieux sur notre monde, aujourd'hui.

Un homme d'une cinquantaine d'années vit sur une toute petite île. Il a fait le choix volontaire, un jour, de s'installer là, seul, loin de tout. Il est dessinateur, et il est paisible dans sa vie. Un matin il se réveille, veut écouter la musique sur sa station de radio préférée et se rend compte qu'un sifflement uniforme règne sur toutes les ondes radiophoniques. Plus de connexion téléphone ou 4G ; plus d'électricité non plus. Les événements des semaines récentes, dont on apprendra plus au fil des pages, l'amènent à penser qu'une fin du monde est bel et bien arrivée. Et dans ces circonstances particulières il se décide à rendre visite à l'autre personne qui vit sur son île, une romancière bourrue, déprimée, alcoolique. Progressivement une amitié se lie entre ces deux habitants de l'île, et un troisième personnage, le passeur, qui se nomme Agamemnon. L'ancien monde, tel que nous le connaissons, s'effondre. D'autres forces inconnues se font connaître : des êtres supérieurs en connaissance mais aussi en sagesse, nos frères inattendus.

Roman d'anticipation, conte philosophique, fable contemporaine, ce livre est un peu tout cela à la fois. Surtout, il est emprunt de sérénité. Dans les premières pages on pourrait craindre un récit catastrophiste et sombre. Il n'en est rien. Une douceur, une lucidité, une certaine part de drôlerie recouvrent tous les phénomènes alarmants qui se présentent dans l'histoire. Et, vous allez rire, la première catastrophe mondiale qui est pressentie dans le roman est une dérive nucléaire, une guerre imprévue qui aura tout fait exploser. Je me suis surprise à être tranquillisée et rassurée : c'était très loin de notre actualité, et, en quelque sorte, très grotesque comme le pire à venir ! Ma réaction m'a inquiétée, mais peu importait puisque la lecture me devenait agréable.

Une autre grande différence par rapport à notre actualité est la manière dont les personnages politiques sont dépeints. Le président américain est si aimable et charmant comparé à celui qui a été à l'avant de la scène, dans la réalité et dans les livres, ces dernières années. Oui, c'est reposant. Et pourtant, l'écrivain soulignera, tranquillement, en prenant son temps, ce qui ne va pas. Il offrira d'autres perspectives, une analyse intelligente et éclairée des transformations nécessaires, en l'homme. Et pour cela il s'appuie sur la civilisation grecque, le mythe de sa grandeur échue. Il nous offre un renouveau, un avenir solide, en faisant ressurgir du tréfond du passé une certaine sagesse oubliée, perdue. Et le fantastique, bien présent, devient alors familier. Or, puisque l'écrivain n'a aucune prétention et jamais ne se pose en donneur de solutions, il pose dans la bouche et les pensées de son narrateur toutes les réticences et fiertés de l'homme ordinaire que nous sommes. Et son personnage féminin, Ève, est bien une Ève !

Je ne peux vous en dire plus, au risque de vous gâcher la lecture de ce doux roman sensé, intelligent et malgré tout divertissant. Mais, pendant que je lisais, et que je tournais aisément les pages, le souffle libre, l'âme paisible, je me suis dit que j'allais me replonger, ou me plonger, dans tous les autres romans d'Amin Maalouf. La sagesse qui règne sous sa plume me repose et m'égaie.

NOS FRÈRES INATTENDUS
Amin Maalouf
éd. Grasset 2020

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres (photographies) de Hengki Koenjoro.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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