Pastorale d’Aki Ollikainen

Ainsi va le monde !

Pastorale est une fable étrangement délicieuse, aux frontières de la réalité. Figures légendaires et monde agraire se côtoient. Les douces folies et les ardents désirs sourdent sous les eaux du lac alors que le loup rôde... L'écrivain parvient à rendre le décor, les personnages, leur mal-être et leurs extravagances tant palpables et qu'amusants. Le tout est très ancré, et le lecteur ne s'étonnera pas lorsque les uns ou les autres lâcheront les amarres pour s'envoler dans un lointain ailleurs. Personnellement je me suis délectée ; j'ai ri cependant qu'un frisson d'effroi me glaçait le sang ! Notons que Pastorale est le deuxième roman d'Aki Ollikainen et que l'écrivain, journaliste et photographe finlandais avait été remarqué dès son premier roman, sélectionné par le prestigieux Man Booker Prize.

Le roman s'ouvre sur la rencontre d'un homme et d'un loup. Ils se croisent, se regardent. Le tout dure quelques instants mais l'écrivain a inscrit dans notre esprit, non pas ce qui va suivre, mais ce qui va sous-tendre le récit. Dans les chapitres suivants il nous présente les différents personnages. On n'arrive pas d'emblée à les situer et comprendre leurs liens les uns aux autres. Ils habitent dans la même région, sont voisins, parfois apparentés. Et majestueusement, le paysage nous est raconté, les animaux, les mouvements de la nature. Le brochet a une allure de divinité, le pissenlit ensorcelle, l'agneau se nomme Pan, le corbeau est perché sur le toit du sauna... Oui, le naturel et le curieux s'embrassent. Et tout nous parle. Le silence lui-même est tissé de voix.
Progressivement nous rentrons dans la vie de ces êtres humains, comprenons leurs angoisses et leurs désirs. Et bien entendu l'imprévu viendra se jouer d'eux, tous, pour les ravir et nous transporter dans ce froid hiver surnaturel.

Quant à la forme, le texte est poétique et l'écriture s'inscrit dans le nature writing. Simplement, c'est un poétique qui ne nous est pas nécessairement familier. Les images évoquées nous surprennent à chaque détour. On est interloqué, et heureux de l'être. J'avoue que je me suis arrêtée plus d'une fois sur une phrase, une scène peinte, pour la saisir, pour la fixer dans mon esprit. Mais le délectable est que justement on ne parvient pas à fixer ce mouvant, éternel mouvant. Admirez par vous-même ce troisième paragraphe du livre qui nous ouvre la porte de l'histoire contée :

« Le silence roula sur l'herbe, passa les bouleaux sur la berge, traversa la jonchaie et se déploya au-dessus du lac étale. Et combien de sons ce silence renfermait-il ? Toute la cacophonie du monde précédant l'aube - le coup de queue du grand brochet parmi les joncs, le friselis du vent dans les feuilles du tremble, c'était un silence tissé de voix. Les oiseaux chantaient durant les heures de la nuit, y compris le temps de ce bref intermède gris-bleu, essayant de trouver un compagnon avec qui se reproduire. Et ailleurs, sur la rive de ce lac étendu, des êtres humains cherchant leur lumière intérieure se réunissaient en une retraite silencieuse pour écouter les nombreuses manières qu'a Dieu de se taire. »

Doucement le lecteur apprend à lire entre les lignes et soupçonne l'étrange qui l'attend dans la suite et fin de l'histoire. Les choses vont advenir. Le mouvement naturel de la vie forcera son chemin et s'imposera pour bousculer une stabilité apparente qui régnait en ce lieu. Les désirs contenus s'expriment, la folie retenue s'exhale et les derniers chapitres laissent le lecteur coi. C'est un peu comme la rivière qui parfois sort de son nid. On sait bien qu'elle revient à sa place par la suite. Mais... ce qui devait se passer, inévitablement se sera passé !
Pour ma part, les personnages me sont devenus particulièrement attachants au moment même où ils sont sortis de leurs nids. Les dégâts causés sont rapportés dans un savant mélange d'ode et de burlesque. Tout en étant choquée j'ai vu apparaître sur mes lèvres un petit sourire amusé, emprunté aux personnages peut-être. La vie a repris ses droits. Et il n'y a pas de morale de l'histoire en fin de récit. C'est une fable. Une exquise histoire extra-ordinaire tout en étant un fait divers possible des habitants de la vie rurale.

J'aime lire les écrits nordiques. Et de temps à autre je retrouve cette narration très particulière qui est omnisciente, à mi-chemin entre l'écho du monde et la voix du lutin. Elle n'est pas moraliste mais elle semble tomber du ciel, nous enrober, s'insinuer partout sans laisser d'issue pour en réchapper. Le livre ne compte qu'une centaine de pages mais nous dépayse. 
Notons que ce jeune écrivain (Pastorale est son deuxième roman) a déjà été remarqué internationalement. Quel chance de le lire en français, si joliment traduit.

PASTORALE
Aki Ollikainen
Traduit du finnois par Claire Saint-Germain

éditions Héloïse d'Ormesson 2020 (v.o. 2018)
Sortie poche éditions 10/18, 2021

Les illustrations présentées sont les œuvres de :
- Akselli Gallen-Kallela
- Jonna Scandy

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

Comments

  1. Y-a-t-il une similitude de ce roman avec End of the Ocean d’un autre ecrivain finlandais dans le style « nature writing/nordic writing? Je n’ai plus en memoire le nom de l’auteur qui parle de l’eau. Merci

  2. Author

    Je n’ai pas encore lu les deux romans pour adultes de Maja Lunde (The History of Bees, et The End of The Ocean). Tous deux font partie d’une série (Klimarkvatteten) qui comprendra 4 volumes. Maja Lunde est norvégienne, scénariste et écrivaine de romans jeunesse. Ses derniers livres sont plutôt futuristes et ont pour objet de traiter la question environnementale et du réchauffement climatique. D’après ce que j’ai compris The End of The Ocean est axé sur la question de l’eau (le manque catastrophique d’eau dans le futur).
    Un grand merci pour avoir attiré mon attention sur cette écrivaine. Je ne manquerai pas de la lire et d’en parler sur ces pages en espérant pouvoir vous répondre avec précision sur la ressemblance ou non du « nature writing » chez Aki Ollikainen et Maja Lunde. Mais a priori je pense que le roman « Pastorale » est d’une saveur différente.

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