L’inconnu de la forêt, d’Harlan Coben

Pour les amateurs de polar, certains noms restent incontournables, indémodables. Et s'il y en a bien un que l'on ne présente plus, c'est Harlan Coben.
Avec L'inconnu de la forêt, paru cette année aux éditions Belfond, l'auteur donne la part belle à un de ses personnages secondaires favoris et bien connu de ses fidèles lecteurs : Hester Crimstein.
À soixante-dix ans, c'est une avocate redoutable, star d'une émission de télévision "Le crime selon Crimstein" et pour une fois, notre lecture nous offre un aspect plus sensible et intime de sa personnalité.

« - Des hurlements terribles.
- Oui, j'ai bien compris. Mais était-ce un homme ? Une femme ? Qui hurle, dans ton souvenir ?
Wilde avait paru réfléchir.
- Moi, avait-il répondu. C'est moi qui hurle. »

Le roman s'ouvre sur un article de journal datant d'avril 1986. Un garçon d'environ six ou huit ans est retrouvé dans une forêt du New Jersey. Débraillé, "ressemblant à Mowgli", l'enfant parle et comprend la langue de ceux qui l'entourent mais ne se rappelle pas son prénom, ni même s'il en a déjà porté un. Personne n'a déclaré sa disparition, on ne vient pas le réclamer, et impossible de savoir depuis quand le garçon vit dans les bois.
Retour en 2020, quelques mois avant l'élection américaine. Matthew, le petit-fils d'Hester, lui rend visite sur le plateau de tournage pour lui demander un service. Naomi, une jeune fille seize ans qui est dans la même classe que lui, a disparu. Le garçon, qui assiste depuis des semaines au harcèlement que subit Naomi, culpabilise et semble cacher quelque chose.
Hester va alors demander l'aide de Wilde. Le garçon trouvé dans la forêt en 1986 est devenu enquêteur, et vit toujours dans les bois, dans une éco capsule dernier cri.

« - J'ai lu récemment une citation de Werner Herzog. Vous voyez qui c'est ?
- Le cinéaste allemand.
- C'est ça. Il a dit que l'Amérique prenait conscience, comme l'Allemagne jadis, qu'un tiers de sa population va exterminer le deuxième tiers sous le regard du troisième. »

Parain de Mathew, Wilde a un lien particulier avec cette famille. Quand il errait dans la forêt, il avait l'habitude de fouiller dans les poubelles de la ville et d'entrer dans les maisons pour trouver de quoi se nourrir. C'est de cette façon qu'il aurait appris à parler, en regardant la télévision dans des habitations désertes. C'est aussi à ce moment-là que Wilde s'était noué d'amitié avec David, celui qui deviendra plus tard le père de Matthew.
David étant mort depuis plusieurs années au moment de notre histoire, nous découvrons la souffrance d'Esther, son lien ambivalent avec Wilde qu'elle apprécie sincèrement mais qui lui rappelle sans cesse son fils décédé et qui prend une place importante dans la vie de Matthew et sa mère.

Wilde et Esther font donc équipe pour retrouver Naomi. Seulement, peu après, c'est un autre adolescent qui disparait à son tour ; Crash Maynard, fils d'un couple de producteurs de télévision très influents, et principal meneur du harcèlement perpétré contre Naomi.
En parallèle, Wilde met à jour une sombre histoire de chantage concernant les Maynard, qui détiendraient une compromettante cassette sur Rusty Eggers, l'un des favoris de la présidentielle américaine ...
Harlan Coben maitrise le sujet des disparitions, et ce genre de thème est tout indiqué pour jouer avec les émotions des lecteurs. Cependant, sans vouloir être insensible, le vrai mystère reste celui entourant la vie de Wilde. Qui est-il ? Combien de temps a-t-il vécu dans la forêt ? Qui sont ses parents ? La fin du roman semble annoncer une ou plusieurs suites tant nos questions restent sans réponse, surtout après le test ADN que Wilde se résout à faire.
Outre ce personnage mystérieux, Hester tire son épingle du jeu. Avec son franc-parler et ses blessures de veuve et de mère endeuillée, elle apporte à des dialogues souvent fades des pointes d'humour et de cynisme bienvenus.

J'ai trouvé que le thème du harcèlement scolaire était à peine survolé, le lecteur s'en détourne comme les camarades de Naomi ou l'équipe éducative. Cependant c'est un choix, je pense volontaire, qui peut être compréhensif car il laisse la place à d'autres problématiques comme la place des médias dans la société ou encore la politique et ses manipulations en tous genres. J'ai d'ailleurs beaucoup aimé la tirade de Rusty à ses employés, où il leur explique comment manipuler une vidéo pour lui faire dire ce que l'on veut.
Harlan Coben écrit parfaitement, mais surtout il écrit juste. Il sait couper ses phrases pour créer du suspens. On le sait, et on l'adore pour ça, et pour ses personnages qui souvent ne sont pas ce qu'ils semblent être. Ici, je suis restée sur ma faim. Non, ce n'est pas son meilleur, et pourtant je n'ai pas lâché le roman. On tourne avidement les pages en attendant le dénouement. C'est bien là la magie d'Harlan Coben.

L'INCONNU DE LA FORET
Harlan Coben
éd. Belfond 2020
Illustration de couverture : Potapov Alexander / Shutterstock
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Roxane Azimi

Les illustrations présentées dans l'article sont (dans leur ordre d'apparition) :
- Gustave Doré, paysage de montagne avec un promeneur, 1879
- Henri Jules Jean Geoffroy, enfant pauvre, 1883
- Nocturne en noir et or, la fusée qui retombe, James Abbott McNeill Whistler, 1874

L'auteure de cet article et désormais cheffe de rubrique Littérature de l'Imaginaire dans le journal bimensuel et sur le site de Kimamori est Amalia Luciani. Découvrez-la par ses propres mots :

Je m'appelle Amalia, j'ai 26 ans. Diplômée d'un master d'histoire, je suis passionnée d'écriture et de livres, tout particulièrement dans le domaine de la fantasy, de l'anticipation et des polars bien noirs et sanglants.
Mes articles sont parus dans divers journaux, dont en 2013 sur le site de l'Express. En 2012, une exposition individuelle à la galerie Collect'Art de Corte a célébré mes photographies, ma seconde passion. Enfin, en 2018, j'ai remporté le prix François-Matenet, à Fontenoy-le-château dans les Vosges avec une de mes nouvelles ayant pour thème l'intelligence artificielle. La même année j'ai co-animé une conférence sur la place des femmes en Corse, du 19ème siècle à nos jours, un des thèmes de mon mémoire de recherche à l'Université.

Comments

  1. Coucou Amalia, c’est Maie (la copine traductrice de Yassi). Si tu veux discuter avec Roxane Azimi, c’est une (très) vieille copine à moi, je peux te donner ses coordonées. Elle a traduit pratiquement tous les Coben.
    Bravo pour tout ce que tu fais!

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