Soroé, reine des Atlantes de Charles Lomon & P.-B. Gheusi

Dans cette chronique, je voudrais vous parler de la maison d’édition Callidor et de sa nouvelle parution, Soroé reine des Atlantes. Nouvelle ? Pas totalement. Paru pour la première fois en 1905, le roman est pour le spécialiste Brian Stableford « le premier grand roman de fantasy épique du XXe siècle ». Rien que ça. Intégralement revisité en 1941 par un de ses deux auteurs, Pierre-Barthélemy Gheusi, c’est cette version que l’éditeur a choisi de publier.
C’est donc armé de tout leur savoir-faire, de la beauté toujours saisissante de leurs couvertures et de leur méticuleux travail de recherche que les éditions Callidor ont mis au point cette réédition, comportant des illustrations originales de René Lelong, ainsi que celles de Valérian Rambaud qui viennent apporter une touche de modernité à ce roman épique.
La raison d’être de Callidor est de faire découvrir, ou redécouvrir, des ouvrages oubliés, négligés pendant trop longtemps. Leur collection « l’Age d’or de la Fantasy », consacré aux auteurs d’un autre temps, dont l’influence continue de résonner dans la littérature de l’imaginaire, leur a permis de remporter en 2016 le Prix Spécial du Jury des Imaginales.

« Ses joues, ses paupières, ses ongles légèrement rosés paraissaient ignorer les fards et les poudres en honneur dans toutes les gynécées de l’Atlantide ; et ce dédain de toute parure ajoutait à sa beauté quelque chose de souverain et d’absolu qui la faisait presque terrible. »

Soroé, reine des Atlantes (dont le titre initial était Les Atlantes) est rédigé à quatre mains par Charles Lomon - qui écrivait également des pièces de théâtre ou de l’opéra - et par Pierre-Barthélemy Gheusi, romancier, dramaturge et journaliste.
Leur roman est considéré comme l’union parfaite entre la fantasy britannique, pays pionnier dans le développement de ce genre, et de la sword and sorcery américaine. Si l’expression peut paraître barbare, son explication et sa mise en place sont connus de tous : il s’agit d’un sous-genre de la fantasy où l’action est primordiale. Le héros, qui vit souvent une idylle au cours du récit, fait face à un ennemi malfaisant (magicien ou sorcière), et est généralement aidé par un objet magique obtenu dans la difficulté.
Si ce genre s’est quelque peu perdu pour laisser place à des problématiques plus modernes, Soroé reine des Atlantes s’y fond parfaitement. Il avait fait très peu parler de lui à sa sortie, il est pourtant une référence aujourd'hui au sein de la littérature de l’imaginaire.

Au début du livre, nous suivons l’éditeur Thierry Fraysse lors de sa rencontre avec les descendantes de P.-B. Gheusi. Comme lors d’une chasse aux trésors, nous l’accompagnons dans ses recherches et nous assistons aux recoupements qu’il fait pendant des mois afin de rendre, au mieux, le travail des deux auteurs. Cet ajout, imagé des pages de manuscrits raturés et modifiés, plonge le lecteur dans une sorte de mise en abyme qui ne donne qu’une envie, c’est de découvrir enfin cette fameuse histoire !

« Ces milliers de créatures humaines n’avaient de pensée, de regards, de désir que pour cette entrée trop étroite où quelques centaines de leurs semblables s’entr’égorgeaient. Pourtant, ceux de l’intérieur tenaient à sortir. Et leur furie l’emporta quand ils se furent avisés de lancer devant eux des torches allumées qui retombaient flambantes, s’enfonçaient dans la masse, brûlant les cheveux, les vêtements, les chairs.  »

Épris d’aventures, les fils du Nord guidés par leurs chefs Argall et Maghée ont pris la mer avec en ligne de mire la cité d’Atlantide. Là-bas, ils devront affronter la reine Yerra, prétendument immortelle et épaulée par le parti de l’Or et du Fer qui soutient son règne à l’aide de nombreux sacrifices humains, coupant court à toute révolte. Sauvant la jeune Soroé - prêtresse des anciens Dieux dont il tombe fou amoureux - des griffes d’une abominables bête, Argall devient pour beaucoup d’atlantes la réincarnation d’un héros de légende. Selon les textes anciens, il réapparaîtrait pour sauver la cité et serait le seul homme à pouvoir tenir entre ses mains un glaive enchanté disparu depuis des années, et permettant l’accès à une fontaine de jouvence. Yerra utilisera alors tous les stratagèmes en sa possession pour faire d’Argall son allié dans cette quête qu’elle poursuit en secret.

Il est vrai que quelques passages sont assez lourds, la prose (surtout concernant la grandiloquence des dialogues) donne l’impression d’un texte de théâtre, ce que semble également penser Brian Stableford dans sa postface. L’aspect caricatural de certains personnages donne droit à des poncifs du genre, mais cela reste cohérent avec l’époque ; le héros est honnête et sans peur, et il choisit la jeune vierge frêle et courageuse au détriment de la puissante sorcière à la beauté dangereuse. Cependant, un point qui est très intéressant dans le roman est, au final, le peu de place que prend Argall une fois l’arme conquise. Victime d’un charme lancé par Yerra, il est absent ou seulement téléguidé par la sorcière pendant un grand laps de temps. Les deux femmes, Yerra et Soroé, se disputent tout autant le trône que le cœur d'Argall, deux choses qui semblent aller de pair. Les alliances, les revendications du peuple les menant aux pires atrocités, et les luttes de pouvoir fratricides qui fragilisent la cité jusqu’à la conduire à sa perte, sont les véritables forces de cette histoire. Soroé, reine des Atlantes est un grand roman d’aventure, qui dépeint des thèmes plus vastes qu’une simple lutte entre le bien et le mal.
Je ne peux que vous en conseiller la lecture pour voyager, un court instant, dans cette cité perdue ...

Soroé, reine des Atlantes
Charles Lomon & P.-B. Gheusi
éd. Callidor 2020
illustrateur : Valérian Rambaud
Collection "L'âge d'or de la fantasy"

Les illustrations présentées dans l'article sont (dans leur ordre d'apparition) :
- Sapho se précipitant dans la mer du rocher de Leucade, Théodore Chassériau,1846,
- Thor and the Dwarves, Richard Doyle, 1878

L'auteur de cet article et désormais chef de rubrique Littérature de l'Imaginaire dans le journal bimensuel et sur le site de Kimamori est Amalia Luciani. Découvrez-la par ses propres mots :

Je m'appelle Amalia, j'ai 26 ans. Diplômée d'un master d'histoire, je suis passionnée d'écriture et de livres, tout particulièrement dans le domaine de la fantasy, de l'anticipation et des polars bien noirs et sanglants.
Mes articles sont parus dans divers journaux, dont en 2013 sur le site de l'Express. En 2012, une exposition individuelle à la galerie Collect'Art de Corte a célébré mes photographies, ma seconde passion. Enfin, en 2018, j'ai remporté le prix François-Matenet, à Fontenoy-le-château dans les Vosges avec une de mes nouvelles ayant pour thème l'intelligence artificielle. La même année j'ai co-animé une conférence sur la place des femmes en Corse, du 19ème siècle à nos jours, un des thèmes de mon mémoire de recherche à l'Université.

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