Suite en do mineur, de Jean Mattern

La solitude n'a qu'un temps

J'aime tout particulièrement les écrivains qui savent prendre la main de leur lecteur, et l'emmener sur des chemins mûrement pensés par leur plume. Je suis plus amplement ravie lorsque ces chemins en question sont loin de la voie toute tracée que l'on imagine au départ. Tel est l'art de Jean Mattern, et ce roman en est l'illustration parfaite.
Le récit est beau. Il est tissé des fils dorés de la musique, d'où ma rencontre avec lui en l'occasion de notre Book club thématique consacré à La Musique. J'ai savouré la lecture de Suite en do mineur. J'ai été conquise par la finale. Rares sont les livres qui nous offrent un présent en toute fin de récit, surtout de nos jours où les dénouements sont peu tenus, tant dans le domaine de la fiction que dans ceux de la réalité !

Le récit commence par l'arrivée d'un homme à Jérusalem. Un certain Etienne lui a offert en cadeau, pour ses cinquante ans, ce voyage organisé. C'est la première fois qu'il pose les pieds dans ce pays. Il ne semble d'ailleurs pas être un grand voyageur. Et il est bien peu enchanté de ce projet dont il ne voit pas le sens. L'homme est manifestement solitaire et bien peu sociable. Le circuit touristique et ses compagnons de tourisme ne l'enchantent guère. Seulement. Il croit entrapercevoir une femme dans la foule, lors d'une de leurs excursions. Et cette vision va le plonger dans son passé lointain, trois décennies plus tôt, et la relation qu'il a vécue autrefois avec cette femme dont il a été éperdument amoureux. Cette femme qui, à elle seule, et les quelques semaines passées avec lui, a formé l'unique et sublime amour de la vie de notre narrateur.

En moins de deux cent pages nous lisons l'histoire de la vie de Robert Stobetzky. Il mène une vie tranquille et très calme à Bar-surAube. Il est libraire depuis des décennies. Il ne s'est jamais marié, il n'a pas d'enfants. Mais il a pris des cours de violoncelle. Parce qu'un jour il a entendu la suite en do mineur de Bach, et ne peut s'expliquer ce qu'il a ressenti en recevant cette musique. Une révélation sourde qu'il aimerait démystifier. Il travaille donc le violoncelle avec le désir de pouvoir interpréter lui-même, un jour, cette suite en do mineur.

Le texte est nostalgique, ou peut-être mélancolique. Mais le propos, tous les éclairs de vérité qui sous-tendent le texte relèvent d'un absolu farouche. Il n'y a pas de demi-mesure dans la vie de cet homme. Il aime. Intensément. Il est bafoué par le destin. Il entreprend de vivre alors dans un absolument dénué d'intensité. Il coule ses jours. Mais il aura un ami ; son professeur de musique. Et il a un neveu, et tous deux seront complices et confidents.
En lisant le roman je n'attendais pas de renversement de situation. Je n'espérais pas un rebondissement. J'étais heureuse de lire. J'étais bercée par le doux flot harmonieux qui se déversait en moi. Je cheminais pas à pas au côté de cet homme. Je le voyais faire les tournées de festivals de musique. Je le voyais conseiller ses clients de la librairie. Je le voyais fermer boutique et rentrer chez lui. Je le voyais marcher sur les sentiers touristiques de Jérusalem. Mais. Sans fracas ni embardée tonitruante, il est parvenu à me surprendre. Et j'ai accepté ses révélations soufflées chuchotées. C'est bien du Bach. Rien de dissonant et pourtant une métamorphose à la clé !

J'avoue que je n'avais pas lu les précédents livres de Jean Mattern. Je ne peux donc comparer celui-ci aux autres, et m'adresser à ses fidèles lecteurs en cela. Je peux simplement dire que je lirai dorénavant avec un immense plaisir cet écrivain, qu'il s'agisse de ses romans déjà publiés, ou ceux à venir.

SUITE EN DO MINEUR
Jean Mattern
éd. Sabine Wespieser 2021

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de Jay Mark Johnson.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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